Depuis plusieurs années, pléthore de responsables politiques sont accusés voire condamnés pour délit de prise illégale d’intérêts. Récemment, l’affaire dite du « fonds Marianne » concernant l’actuelle secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, Marlène Schiappa, a permis de remettre en lumière cette notion méconnue du grand public.
Mêlant droit pénal, droit public et droit des affaires, le délit de prise illégale d’intérêts est avant tout une atteinte à la probité. Cette infraction a fait l’objet d’évolutions s’adaptant aux pratiques successives. Ces évolutions ont ciblé tant sa définition (I) que sa caractérisation (II), justifiant ainsi la peine encourue (III).
I. La définition légale de la prise illégale d’intérêts
L’article 432-12 du Code pénal définit l’infraction de prise illégale d’intérêts comme étant : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement (…) ».
Il est à noter que la loi n° 2021-1729 pour la confiance en l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 a modifié la définition en remplaçant les termes « intérêt quelconque » par « un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité ».
Le délit de prise illégale d’intérêts, est néanmoins subtilement à différencier du délit de pantouflage. En effet, ce dernier définit par l’article 432-13 du Code pénal, ne concerne plus les agents publics en activité mais les anciens fonctionnaires qui étaient membres notamment de la hiérarchie administrative, permettant ainsi de couvrir les risques de prise illégale d’intérêts postérieurement à toute fonction.
Le champ d’application du délit de prise illégale d’intérêts est, rationae materiae, restreint aux élus, fonctionnaires et agents publics. Le texte s’applique en effet aux :
- Personnes dépositaires de l’autorité publique, autrement dit celles qui sont titulaires d’un pouvoir de décision et de contrainte. Par exemple, cela peut concerner un fonctionnaire de police ou de gendarmerie (Cour de cassation, 20 avril 2005, n° 04-84.619) ;
- Personnes accomplissant, à titre temporaire ou permanent, un service public quelconque. Par exemple, cela peut concerner un Président d’Université (Cour de cassation, 17 décembre 2008, n° 08-82.318) ;
- Et enfin, aux personnes investies d’un mandat électif public. Cela concerne tous les échelons et élections, c’est-à-dire que peut être inclut un maire, un conseiller municipal, un député et même un député européen et, comme on l’a vu récemment, un Ministre ( référence ici à la mise en examen de l’actuel garde des Sceaux) .
II. La caractérisation du délit de prise illégale d’intérêts
Toute personne commettant un abus de fonction, matériel ou moral, peut être visée dudit chef d’accusation. C’est une infraction formelle qui est, selon la Cour de cassation, consommée dès que l’agent public a pris ou reçu un intérêt dans une opération dont il avait, au moment de l’acte, la charge d’assurer l’administration ou la surveillance et ce, « peu important que, pour des raisons indépendantes de sa volonté, l’opération en cause n’ait pu aboutir » (Cour de cassation, 21 février 2001, n° 00-81.167).
Ainsi, pour caractériser l’infraction, il convient classiquement, d’une part, d’identifier l’élément matériel (a), et d’autre part, l’élément moral (b).
(a) L’élément matériel de l’infraction
Selon l’alinéa 1er de l’article 432-12 du Code pénal, le comportement incriminé consiste dans le fait pour l’agent public de « prendre, recevoir ou conserver » un intérêt illicite dans une affaire dont il a la charge de la surveillance. Explications :
- “Prendre ou recevoir” : cela vise directement le cas où la personne visée est en position de « surveillant / surveillé » (Cour de cassation, 21 mars 2012, n° 11-83.477) ;
- “Conserver” : cela vise ici le cas où la personne concernée conserve un intérêt de nature à compromettre son impartialité. Cette notion est susceptible d’une interprétation large.
L’intérêt dont profite la personne en cause peut être direct ou indirect. Autrement dit, la personne en cause peut ne pas profiter directement de l’avantage tiré de la conservation d’intérêt, dès lors que l’intérêt en question est illicite, c’est-à-dire qu’il remet en question son impartialité, son indépendance ou son objectivité. Cet aspect de l’infraction permet de démontrer une certaine coloration ‘éthique‘ de sa qualification, justifiant ainsi son titre “d’atteinte à la probité“.
Néanmoins, la personne soupçonnée doit avoir au moment de l’acte, la charge d’assurer « la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement » (article 432-12 du Code pénal). Ainsi, elle doit être en mesure, par sa fonction, d’y exercer des responsabilités lui conférant un certain pouvoir effectif. Cet aspect permet de rationnaliser l’atteinte à la probité et de la concrétiser.
(b) L’élément moral de l’infraction
Un simple dol suffit ! En effet, la seule conscience et volonté de prendre un intérêt illicite dans une affaire qui est soumise à sa surveillance ou à ses fonctions suffit pour que l’infraction soit caractérisée dans son élément moral, faisant ainsi fi de toute intention frauduleuse.
III. La peine encourue
La peine encourue est de cinq ans d’emprisonnement et de 500.000 euros d’amende, sans compter les peines complémentaires d’inéligibilité probable pour une personne investie d’un mandat électif public.
Néanmoins, plusieurs éléments peuvent permettre de modérer la peine, voire de ne pas la prononcer lorsque certaines conditions précises sont réunies, à l’instar de l’erreur de droit ou de la situation subalterne de l’agent en cause.
Cette infraction prend de plus en plus de place dans les affaires politico-financières, et démontre l’accroissement du poids des infractions au devoir de probité dans le paysage juridique mais également politique. Ainsi, la responsabilisation des responsables politiques passe-t-elle par sa judiciarisation ? C’est en tout cas ce que démontrent les dernières affaires condamnant les hommes politiques, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat…