Le prêt de main-d’œuvre est une opération tripartite consistant à la mise à disposition d’un salarié par une entreprise prêteuse au profit d’une entreprise utilisatrice. Au départ prohibé, le prêt de main-d’œuvre se développe et des cas de recours licites apparaissent. Dans le cadre du prêt de main-d’œuvre, l’équilibre entre le licite et l’illicite est une lutte d’intérêts qui oppose protection du salarié prêté et flexibilité au profit des entreprises. Les années passent et la question du développement du mécanisme se fait de plus en plus récurrente même si tous s’accordent pour admettre qu’il comporte un risque non négligeable. La question de sa libéralisation est renouvelée par les différentes crises économiques, sociales ou encore sanitaires.
L’interdiction du trafic de main-d’œuvre
Une double incrimination
De nos jours, ces opérations tripartites sont toujours strictement encadrées par deux interdictions : le prêt de main-d’œuvre illicite et le marchandage qui sont sanctionnés par une peine de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende conformément aux articles L.8243-1 et L.8234-1 du Code du travail.
D’abord, l’article L.8241-1 du Code du travail dispose que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre est interdite.
Ensuite, l’article L.8231-1 du même code interdit le marchandage qui est toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail.
Une réglementation infructueuse
Même si le nombre d’infractions relatives au trafic de main-d’œuvre est en hausse sur la période 2017-2018, peu de peines sont en réalité prononcées (DGT, Bilan du plan national 2017-2018 de lutte contre le travail illégal, 2019, p.59). En effet, le trafic de main-d’œuvre est souvent dissimulé sous l’apparence d’une fausse sous-traitance ou prestation de service ce qui rend difficile sa caractérisation. L’inspecteur du travail doit pouvoir investir à la fois les liens contractuels unissant les entreprises parties à l’opération, mais aussi la manière dont est exécutée le contrat sur place.
Le faible nombre de condamnation est aussi expliqué par d’autres éléments comme l’autocensure de l’inspecteur du travail, le filtrage hiérarchique des procès-verbaux ou encore la volonté de privilégier la régularisation de la situation à la condamnation.
Vers la libéralisation de l’interdiction ?
Le mécanisme de prêt de main-d’œuvre s’est avéré efficace dans le contexte de la crise sanitaire. En effet, de nombreuses entreprises se sont retrouvées dans l’obligation de mettre en activité partielle une partie de leurs salariés.
Cette période a révélé que le prêt de main-d’œuvre était un mécanisme non pas seulement de compétitivité, mais aussi de préservation de l’emploi. Recourir à une telle opération permet à l’entreprise qui subit des difficultés économiques de prêter ses salariés à une autre entreprise qui elle recherche de la main-d’œuvre.
L’Etat a aussi réalisé des économies dans ces opérations car l’entreprise prêteuse n’a pas besoin de bénéficier des aides relatives à l’activité partielle. C’est pourquoi la loi du 17 juin 2020 avait facilité pendant un temps le recours au prêt de main-d’œuvre.
Le prêt de main-d’œuvre licite
Les cas de licéité
Comme le précisent les interdictions du prêt de main-d’œuvre illicite et du marchandage, seules opérations à but lucratifs sont sanctionnées. Cependant, de nombreuses exceptions permettent aujourd’hui de réaliser des prêts de main-d’œuvre même à but lucratif. Le travail temporaire (ou le travail intérimaire), le travail à temps partagé ou encore le prêt de main-d’œuvre pour les PME et jeunes entreprises se développent et en sont le parfait exemple.
Les incertitudes
En 2011, le législateur a ajouté un nouvel alinéa à l’article L. 8241-1 pour tenter de définir la notion de but lucratif afin de sécuriser les opérations de prêt de main-d’œuvre. Ce nouvel alinéa indique qu’une opération de prêt de main-d’œuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque « l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice que les salaires versés au salarié, les charges sociales et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition ».
Malgré l’intervention du législateur, certaines incertitudes demeurent et entretiennent un flou juridique.
D’abord, il est possible de se demander si cette liste des re-facturations licites est réellement limitative. Si tel était le cas, la liste des re-facturations autorisées serait en désaccord avec la jurisprudence antérieure à la loi Cherpion qui tolérait, dans une certaine mesure, la re-facturation des frais de gestion. C’était une position confortée par les préconisations de l’administration. La re-facturation raisonnable des frais de gestion ne devrait pas permettre à elle seule de caractériser le but lucratif de l’opération, mais qu’il pourrait s’agir d’un indice. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 22 janvier 2015 (CA PARIS, 22 janvier 2015, Pôle 6, n°12/09177), semble aller dans ce sens et considère que la re-facturation des frais de gestion à hauteur de 1% des salaires « ne peut être considérée comme une source de profit pour l’une ou l’autre entreprise ». En effet, en re-facturant les frais de gestion l’entreprise prêteuse ne souhaite pas obtenir un gain mais bien éviter de perdre de l’argent dans l’opération.
Ensuite, le texte se place exclusivement du point de vue de l’entreprise prêteuse et reste silencieux sur le sort de l’entreprise utilisatrice. L’opération est-elle dépourvue de but lucratif dans sa globalité lorsque l’entreprise prêteuse respecte à la lettre la liste des re-facturations licites ? quid de l’économie réalisée par l’entreprise utilisatrice du fait du prêt de main d’œuvre ? L’entreprise utilisatrice poursuit nécessairement un but lucratif en courant aux salariés d’autres entreprises à la place d’embaucher.
Le prêt de main-d’œuvre souffre de nombreuses imperfections et nécessite des clarifications. Mais il est aussi possible que le mécanisme soit à l’avenir développé pour répondre à des besoins nouveaux. Alors que le prêt de main d’œuvre a été longtemps boudé par le législateur, il se pourrait qu’il devienne un outil privilégié de sauvegarde de l’emploi.