Oeuvres audiovisuelles et respect de l’ordre public : quelles restrictions ?
Œuvres audiovisuelles et respect de l’ordre public : quelles restrictions ?

Une publicité pour de l’alcool ou un film pornographique pourrait être protégée par le droit d’auteur mais jamais diffusée sur Gulli. Des restrictions justifient la censure de tout ou partie de l’œuvre audiovisuelle jugée illicite. Grand producteur télé ou projet étudiant : comment protéger vos œuvres audiovisuelles contraires à l’ordre public ?

Le droit d’auteur protecteur de toutes les œuvres audiovisuelles : le principe de l’universalité de la protection

S’agissant de la propriété intellectuelle, on mettra de côté le droit des brevets portant sur la protection des inventions et le droit des dessins et modèles relatif à l’apparence physique des produits. Pour ce qui est du droit d’auteur et du droit des marques, ces deux droits ont une position diamétralement opposée sur la question de l’ordre public.

Par exemple, l’émission de télé-réalité dans laquelle des participants testent des drogues ou des pratiques sexuelles en direct (oui, elle existe) serait quand même protégée par le droit d’auteur contre toute reproduction ou représentation partielle ou totale ou atteinte au respect de l’œuvre dès lors que le concept serait original. Rappelons-le, le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit à l’instar des œuvres audiovisuelles, dès lors qu’elles sont originales, se manifestent par une réalisation matérielle et traduisent la personnalité de l’auteur. L’essence même du droit d’auteur est donc libérale et protectrice de la liberté d’expression puisque ces œuvres sont protégées par le Code de la propriété intellectuelle (CPI) indépendamment de leur mérite, leur destination, leur forme ou leur genre. Pour ce qui est des œuvres audiovisuelles, il faut alors noter que le fait qu’elles contrarient l’ordre public n’empêche pas leur producteur ou co-auteurs d’exercer leurs droits face à une contrefaçon afin d’obtenir la condamnation civile, voire pénale du contrefacteur. Si cette émission n’existe pas en France, c’est un succès aux Pays-Bas sur la chaîne publique de télé BNN. En France, hypothétiquement, l’émission, aussi trash soit-elle, pourrait être protégée par le droit d’auteur s’il s’agissait d’une adaptation du format néerlandais ou même si c’était un format français. L’ordre public n’est donc absolument pas un obstacle à la protection par le droit d’auteur, ni même, soulignons-le, à la protection des entreprises de communication audiovisuelle titulaires d’un droit voisin. Les enjeux économiques et investissements financiers ne sont pas affectés sur ce point.

La marque, obstacle à la protection d’une œuvre contraire à l’ordre public

À l’inverse, la marque qui permet de distinguer des produits ou services entre personnes physiques et/ou morales et de garantir leur provenance ne peut pas protéger le signe qui serait contraire à l’ordre public, cela justifierait d’ailleurs sa nullité absolue d’après le CPI. La marque verbale ou le logo qui correspondent à une émission ou une série télévisée contraires aux bonnes mœurs ne seront donc pas protégés, s’ils sont injurieux, discriminatoires ou encore appelant à la violence. Mais pas que puisque heureusement, l’INPI a aussi refusé d’enregistrer « Pray for Paris » ou « JE SUIS CHARLIE » au lendemain des attentats, le contraire aurait été plus que déplacé en tirant des revenus sur le dos des victimes de ces drames. Dès lors, aucune fiction ou documentaire à la télé ou à la radio ne permettrait d’engager une action en contrefaçon sur le fondement du droit des marques et d’une copie servile ou d’une imitation du signe. Un signe jugé illicite, à l’instar des logos dans des œuvres audiovisuelles, pourrait librement être incorporé sur des produits dérivés comme des vêtements, des boissons alcoolisées ou même des lessives sans pouvoir se faire opposer un quelconque droit de marque ! Attention toutefois, si l’on tire excessivement profit de votre notoriété, vous pourriez toujours agir en concurrence déloyale devant le tribunal de commerce ! Plus surprenant, s’agissant de la pornographie, est-ce à dire que tout signe y étant relatif serait d’office écarté ? À vrai dire, non, puisque Pornhub est valablement enregistré en tant que marque de l’Union européenne  et marque internationale. L’association des termes « porn » et « hub », sous-entendu, un hub ou une plateforme de vidéos pornographiques n’est pas contraire à l’ordre public. Quoi qu’il en soit, il faut absolument un signe licite pour votre émission ou votre série si vous souhaitez la protéger par une marque !

Le droit des médias, régulateur de la diffusion des œuvres audiovisuelles

Au-delà des œuvres en elles-mêmes protégées par le droit d’auteur, le droit des médias et des télécommunications encadre la communication audiovisuelle et les médias électroniques en maintenant des exigences quant au respect de l’ordre public.

En matière de publicité, de téléachat et de parrainage, un décret de 1992 exige que la publicité soit « conforme aux exigences de véracité, de décence et de respect de la dignité de la personne humaine ». De même, elle doit « être exempte […] de toute scène de violence et de toute incitation à des comportements préjudiciables à la santé, à la sécurité des personnes et des biens ». Une publicité à la télévision faisant la promotion d’une moto ne peut pas montrer les motards sans casque lorsqu’ils conduisent car cela est contraire à la sécurité publique. La chaîne Gulli pourrait-elle diffuser un film pornographique avec les scènes les plus trash qui soient ? Evidemment que non. D’une part, le jeune public et les parents déserteraient la chaîne et donc les annonceurs refuseraient d’y acheter des espaces publicitaires. D’autre part, les programmes sont classés par catégorie, une telle œuvre relevant de la catégorie V sur les programmes pornographiques réservés aux adultes et interdits aux mineurs, ne peut faire l’objet d’aucune diffusion en clair. Contrevenir à cette règle relèverait de la corruption de mineurs qui est punie pénalement. Même le clip de Call Me By Your Name par Lil Nas X et Montero passerait difficilement sur Gulli à cause de sa chorégraphie plutôt sulfureuse comme le twerk sur Satan mais resterait protégé par le droit d’auteur. Si vous souhaitez diffuser vos clips sur une chaîne pour enfants, restez dans le même esprit que celui de Bim Bam toi par Carla.

Le droit pénal, garant des libertés individuelles

Vous l’avez compris, créer des œuvres audiovisuelles contraires à l’ordre public n’empêche pas d’exercer ses droits d’auteurs dessus mais s’il s’agit d’une publicité ou d’un programme qui a vocation à être retransmis à la télévision ou à la radio, les œuvres audiovisuelles ne pourraient jamais être diffusées comme telles. La règlementation sur ces médias est très sévère et les sanctions financières peuvent être très lourdes. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) peut effectivement prendre des sanctions administratives comme la suspension de tout ou partie d’un programme pendant un mois au maximum ou la suppression temporaire des séquences publicitaires. Les entreprises diffusant ces œuvres audiovisuelles litigieuses seraient donc lourdement touchées sur un plan financier, tout comme les producteurs qui empochent une partie des recettes publicitaires. En définitive, à quoi bon proposer des œuvres audiovisuelles qui ne pourraient pas être diffusées à la télé ou la radio ?

Quid d’Internet ou des réseaux sociaux ? Cet espace de liberté n’est, en réalité, pas sans limite. L’apologie au terrorisme dans une vidéo de propagande accessible sur Facebook ou la diffusion sur Snapchat d’une sextape (possiblement protégée par le droit d’auteur dès lors que les choix créatifs seraient originaux) sans l’accord de la personne concernée seraient punies par le droit pénal. Les victimes d’un revenge porn pourraient même faire valoir leur droit au déréférencement pour atteinte à la vie privée, comme il a été jugé en référé par le TGI de Paris le 12 mai 2017. 

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