L’Opération d’accordéon financier : une « cacophonie » complexe !

18 octobre 2021

L’Opération d’accordéon financier : une « cacophonie » complexe !

Le coup d’accordéon financier est une opération financière ayant pour but de recapitaliser les sociétés en difficultés financières. Il est utilisé par les SARL ou les sociétés par actions (SA ou SAS). La finalité du coup d’accordéon financier consiste en une reprise normale d’activité pour ces sociétés. Cette opération a été inventée par la pratique, puis est devenue classique, notamment en raison de son efficacité. En tant qu’actionnaire il est donc stratégiquement intéressant de connaître les contours et le mode de fonctionnement du coup d’accordéon financier. 

La complexité de cette opération résulte de la succession de deux étapes contradictoires. En effet, le coup d’accordéon financier implique : une réduction de capital suivie d’une augmentation de capital. Il semble donc difficile d’articuler avec justesse les opérations de cette « symphonie ». 

Comment la réalisation de pertes peut-elle entraîner une augmentation de capital ? Comment orchestrer l’opération de coup d’accordéon financier pour qu’elle soit « harmonieuse » ?

Pour comprendre le tempo de cette opération, revenons sur son cadre d’intervention, son déroulement et l’articulation de ses deux phases : la réduction de capital et son augmentation. Par ailleurs, cette opération en raison de sa complexité n’est pas sans risques à l’égard des actionnaires…zoom sur les risques juridiques et l’encadrement jurisprudentiel du coup d’accordéon financier !

Le coup d’envoi : la constatation d’une valeur trop faible des capitaux propres 

Les capitaux propres d’une société constituent le cœur de son fonctionnement, la vitrine de sa trésorerie. En effet ils sont les ressources financières que possède la société. Ils sont constitués par le capital social (somme d’argent déposée dès la création de la société), les réserves légales et statutaires, le résultat de l’exercice, les bénéfices non distribués.

Quid lorsque la valeur des capitaux propres d’une société est trop faible ? 

Le Code de commerce impose aux sociétés dont les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié de leur capital social de choisir entre la dissolution anticipée ou la restructuration de leur capital. 

En effet, pour les sociétés anonymes, l’article L225-248 du code de commerce dispose que lorsque les capitaux propres d’une société anonyme « deviennent inférieurs à la moitié du capital social », alors la société doit choisir entre : 

  • La dissolution anticipée,
  • Ou la restructuration de ses capitaux propres. 

La restructuration n’est pas imposée par la loi, mais elle se présente comme une alternative pour la survie des sociétés. En effet, les actionnaires ne souhaitant pas dissoudre leur entreprise opteront automatiquement pour une restructuration. Celle-ci implique de réduire le capital d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pas pu être imputées sur les réserves.

A l’issue de la restructuration, la valeur des capitaux propres doit être « au moins égale à la moitié du capital social » (Art. L225-248 C.com).

Comment restructurer les capitaux propres d’une société ? 

Cette décision est prise en assemblée générale, au plus tard à la clôture du deuxième exercice après l’enregistrement des pertes. 

Les méthodes de restructuration de capital sont diverses et variées, parmi elles on retrouve l’opération de coup d’accordéon financier.

La restructuration des capitaux propres peut se faire 

  • Soit par une augmentation classique du capital, 
  • Soit par une réduction du capital, c’est à ce stade qu’intervient l’opération de coup d’accordéon financier !

Le déroulement de l’opération :  apurer le passif pour reconstituer l’actif, un véritable « effet levier » !

1ère étape : La réduction du capital de la société 

La première étape du coup d’accordéon financier consiste à réduire le capital de la société. L’objectif étant d’apurer les pertes dans le passif et d’assainir le bilan comptable. La réduction des pertes se fera par une baisse de la valeur nominale des titres de la société (actions et parts sociales) jusqu’à la valeur vénale de la société (valeur réelle de la société sur le marché).

Lors de la réduction de capital, la société doit prendre en compte la dégénérescence, la dévaluation de valeur de ses actions (pour les SA). Par ailleurs elle doit réduire son capital proportionnellement aux pertes non imputées sur les réserves. 

Parfois il arrive que les actionnaires soient contraints à réduire la valeur du capital à zéro. Dans ce cas, il n’est pas possible de caractériser une atteinte au droit de propriété des actionnaires. En effet, ce phénomène n’est que la matérialisation concrète de leur obligation de contribuer aux pertes de la société dans la limite de leurs apports (Article 1844-1 du Code civil). 

Cette première étape prouve que les pertes d’une société ne sont pas toujours le véritable reflet de son potentiel économique. En effet, la finalité de cette réduction de capital est d’attirer les investisseurs qui verraient à travers la société une rentabilité future, et un véritable potentiel. 

2e étape : L’augmentation du capital de la société et « l’effet levier »

L’épuration du passif permet en effet d’attirer des investisseurs, de nouveaux actionnaires. Ces derniers permettront de renflouer financièrement la société. En effet ils augmentent le capital de la société en investissant et notamment en effectuant des apports en numéraire. L’augmentation de capital se traduira aussi à travers des apports de trésorerie, des réductions de dettes, voir une compensation de créance (lorsqu’une entreprise abandonne ses créances et entre au capital de la société).

Ces nouveaux actionnaires souscrivent donc à l’augmentation du capital afin de le porter à la valeur nécessaire à la reconstitution de l’actif. 

Finalement, les investissements générés par la réduction de capital sont à l’origine de la relance de l’activité. C’est pourquoi on parle « d’effet levier ». 

Ainsi, l’appellation originale de cette opération trouve tout son sens : en effet la dénomination de « coup d’accordéon financier », permet d’imager le phénomène contradictoire de diminution suivi par l’augmentation du capital, on pourrait même parler d’effet rebond ! 

Enfin, cette opération reste tout de même génératrice de risques juridiques à l’égard des actionnaires. En effet, elle entraîne un nombre conséquent de modifications statutaires successives.

Les risques juridiques pour les actionnaires 

Véritable cacophonie, l’opération de coup d’accordéon financier n’est pas sans conséquence pour les actionnaires.

En effet, suite à l’augmentation, les actionnaires risquent de perdre tout ou partie de leur droit préférentiels de souscription (droit de priorité pour souscrire à l’augmentation de capital). C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de cette opération que Mark Zuckerberg a réussi à évincer son ancien associé Eduardo Saverin du contrôle de la société qui racheta TheFacebook.com (dilution de parts sociales). 

Plusieurs situations sont à envisager : 

  • Si l’augmentation de capital fait intervenir un investisseur extérieur, alors certains actionnaires seront contraints de réduire leur participation. Cette perte est certes plus avantageuse que la dissolution de la société (perte de l’intégralité de la société), mais elle reste tout de même frustrante pour les actionnaires. 
  • Si le capital de la société est réduit à zéro, alors certains actionnaires seront automatiquement expulsés de la société, notamment les actionnaires minoritaires, puisqu’ils sont dans l’impossibilité financière de souscrire à nouveau. D’ailleurs la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 17 mai 1994, que ce genre de situation ne porte pas atteinte aux droits de ces actionnaires, et qu’il n’y avait pas d’inégalité entre sociétaires. La juridiction du Quai d’Horloge justifiait sa décision en se fondant sur le fait que « l’actif net de la société était largement inférieur à la moitié du capital social », de plus la diminution du capital avait été accepté en AG. 

Ainsi l’intervention d’un avocat ou d’un expert-comptable est fortement recommandée pour ces interventions. 

Face à ces risques, le législateur et la jurisprudence protègent tout de même les actionnaires. 

La protection des droits des actionnaires : le coup d’accordéon financier n’est pas un « chamboules tout » !  

Le coup d’accordéon financier ne doit pas être un prétexte pour tout changer ! Cette opération ne doit pas s’assimiler à une manipulation d’expropriation illégale, et elle ne doit pas porter atteinte aux intérêts des actionnaires. 

En effet, le coup d’accordéon financier ne doit pas être un subterfuge pour commettre un abus de majorité et évincer les actionnaires minoritaires. Les tribunaux ont déjà sanctionné les actionnaires auteurs de cet abus. Le constat de privilèges d’actionnaires ou de catégories d’actionnaires suffit à qualifier l’abus de majorité. 

La jurisprudence est particulièrement attentive au respect des droits des actionnaires, notamment ceux des actionnaires minoritaires. En effet l’article L.225-204 du Code de commerce prévoit que la réduction de capital ne doit « en aucun cas » « porter atteinte à l’égalité entre actionnaires ». Ces derniers peuvent contester toute opération portant préjudice à leur droits et obtenir des dommages et intérêts à ce titre. 

Cependant, il faut admettre que les actionnaires ont tout de même peu d’intérêts à contester l’opération lorsque la survie de la société est en jeu. En effet, la Cour de cassation dans un arrêt du 18 juin 2002 a validé une opération de coup d’accordéon portant sur la suppression du droit préférentiel des actionnaires, sous prétexte que cette manœuvre avait pour objet d’assurer la pérennité de l’entreprise. 

Le pacte d’associés : un compromis idéal !

Le coup d’accordéon peut concilier les intérêts des actionnaires majoritaires et minoritaires. La clé de ce succès implique d’insérer une clause de non-dilution dans le pacte d’associés. En effet, la Cour d’appel de Paris a jugé le 27 mars 2014 que : « La rédaction habile d’un pacte d’actionnaires permet d’assurer aux minoritaires une immunité contre un coup d’accordéon intempestif ». Il faut donc être particulièrement attentif lors de la négociation et de la rédaction du pacte d’associés. 

Dans arrêt du 7 mai 2019 la Cour de cassation valide un coup d’accordéon, nécessaire à la survie d’une entreprise, et fait également respecter les droits des minoritaires. La Cour estime en effet que lorsqu’un pacte d’actionnaires prévoit qu’un actionnaire minoritaire ne peut voir sa participation dans le capital de la société réduite en dessous d’un certain seuil avant sa sortie de la société, alors les actionnaires majoritaires n’ont pas le droit de mettre en œuvre un « coup d’accordéon » qui ne respecterait pas cette obligation de non-dilution. 

Ce qu’il faut retenir de cette opération…un esprit visionnaire ! 

La stratégie du coup d’accordéon financier consiste à réaliser des pertes tout en conservant la capacité de devenir rentable assez rapidement.Aussi surprenant que cela puisse paraître, la diminution du capital est essentielle à son augmentation. Elle constitue un préalable permettant de lancer l’augmentation du capital. Pour comprendre cette opération il faut donc être visionnaire et savoir regarder en aval des opérations. Cependant, cette opération génère de nombreux risques juridiques pour les actionnaires minoritaires, qui doivent donc être vigilants, prudents et mettre en place toutes les diligences nécessaires à la protection de leurs intérêts lors de la conclusion du pacte d’associés.  

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