Les smart-contract, où quand l’intelligence passe du juriste au contrat

13 novembre 2021

Les smart-contract, où quand l'intelligence passe du juriste au contrat

Théorisés pour la première fois en 1994 par le cypherpunk Nick Szabo, les contrats intelligents, ou smart-contracts en anglais, n’ont trouvé leur marque dans le monde réel qu’en 2015 avec la création de la blockchain Ethereum. Cette blockchain, en permettant le développement de contrats intelligents par tout un chacun, démocratise cette technologie réservée au départ à une poignée d’initiée. Mais un smart-contract, qu’est-ce que c’est ? 

I. Définition

Paradoxalement, le smart-contract n’est pas un contrat à proprement parler. Il est en vérité “une image, destinée à exprimer l’automaticité de l’accomplissement d’une fonction informatique prévue par un programme si les conditions en sont remplies” (M. Clément-Fontaine, « Le smart-contract et le droit des contrats : dans l’univers de la mode », Dalloz IP/IT 2018. 540). Il est donc moins un contrat qu’une méthode d’exécution des obligations, qui elles peuvent être contractuelles. En amont de ces contrats, les parties vont, comme dans un contrat classique, fixer leurs conditions, qui seront ensuite transformées en contrat sous forme de si/quand…alors… Ce contrat sera ensuite inscrit sur la blockchain, rendant son écriture immuable et sécurisée. Ces conditions peuvent être endogènes ou exogènes à l’écosystème blockchain (G. Cattalano, AJ contrat 2019 p.321) ; endogènes lorsque la condition est directement liée à un événement interne à la blockchain (si telle personne transfert telle somme, alors je récupère une commission de x%), exogènes lorsque la condition est déclenchée par la survenance d’un événement externe à la blockchain (si telle personne met en vente sa maison, alors je fais une offre de x euros). À préciser cependant qu’une blockchain, pour prendre en compte des événements extérieurs, doit passer par un intermédiaire appelé “oracle” (entité tierce a la blockchain en charge de digitaliser les données du monde physique).

II. Cas d’application

Parce que le contrat intelligent n’est pas un contrat mais une méthode d’exécution, il peut théoriquement s’appliquer à tous les types de contrats. Certaines spécialités sont cependant plus avancées que d’autres sur l’implémentation du smart-contract dans leur environnement : 

– En droit immobilier, l’utilisation de ce type de contrat permettrait de substituer la blockchain au registre du notaire comme tiers de confiance. Cela aurait pour avantage la réduction de coût et de temps qu’engendre l’intermédiation par notaire.

– En droit des sociétés, l’utilisation d’un smart-contract comme contrat d’entreprise (mécanisme connu sous le nom de Decentralized Autonomous Organization dit DAO) permet de faciliter la gestion des droits des actionnaires. Par exemple, en ce qui concerne le droit de préemption, le contrat intelligent qui détecterait une cession de droit sociaux au profit d’un tiers pourrait bloquer automatiquement la transaction et la rendre valide si et seulement si le bénéficiaire en donne l’accord exprès. 

– En droit de la propriété intellectuelle, un artiste souhaitant vendre sa création (sous la forme de Non-Fungible Token dit NFT) pourrait insérer une clause de royaltie dans le contrat de vente originel, la traçabilité de la blockchain permettant à celui-ci de récupérer un pourcentage de chaque vente.

III. Quelle législation ?

À l’heure actuelle, la législation relative aux smart-contracts est lacunaire. En droit commun, l’article 1127-1 du Code civil énonce les conditions de validité de l’offre contractuelle au format numérique ; en droit spécial, la loi PACTE est venue ajouter aux articles L. 552-1 et suivants un encadrement juridique des ICO (Initial Coin Offering, mode de financement par le biais de l’émission d’actifs appelés tokens), encadrant ainsi l’utilisation des smart-contracts dans un cadre financier. Cependant, ces bribes de législations ne sauraient couvrir l’étendue des applications du smart-contract.
Aussi, l’appellation ne fait pas l’objet d’un consensus. À ce sujet, le projet de Rapport parlementaire d’information sur la blockchain rendu public le 14 décembre 2018 ne mâche pas ses mots (et à raison) : “le terme de contrat est un peu galvaudé en ce que le programme informatique ne partage que peu de caractéristiques communes avec l’objet juridique du contrat au sens du Code civil“. La notion de smart-contract est au mieux métaphysique, au pire paradoxal ; seul consensus trouvé est sur le flou qui entoure ce terme. Mais ces querelles notionnelles ne doivent pas empêcher le débat d’avancer ; car la finance décentralisée prenant de plus en plus d’ampleur (au 21 octobre 2021, un niveau record de 238 milliards de dollars en valeur investie dans les différents protocoles or Bitcoin selon DefiLlama.com), l’unicité du régime du smart-contract devient de plus en plus pressante. 

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