Les groupes de sociétés : entre indivisibilité de l’entité et autonomie des composantes sociétaires

15 novembre 2021

La société est une forme d’organisation juridique de l’entreprise. Elle n’est toutefois pas nécessairement une structure fermée et autonome. A ce titre, elle peut appartenir à un groupe de sociétés. Ce concept est assez courant en droit des sociétés, car il présente des avantages indéniables en termes de stratégie de concentration et de limitation des risques. Succinctement, un groupe de sociétés se compose de plusieurs filiales contrôlées par la société tête de réseau, la société mère. Cependant, à cette présentation simple répond un régime ambigu.

La notion de groupe de sociétés

De prime abord, le groupe de sociétés est un ensemble de sociétés juridiquement indépendantes, mais formant une même unité économique en raison de liens étroits de diverses natures : liens capitalistiques, contractuels ou personnels.

Cette entité est appréciée par le droit des affaires comme un objet spécifique de réglementation, pour des raisons de police de l’activité économique, en particulier du point de vue de la protection des travailleurs et du droit de la concurrence national ou européen. Chaque groupe de sociétés présente des singularités. Si l’on associe souvent cette forme de gestion à la mise en place d’une politique commune (groupe « coordonné »), ce n’est pourtant qu’une éventualité. En effet, il est possible que les sociétés d’un même groupe soient subordonnées à un même contrôle, mais qu’elles demeurent libres d’agir en dehors d’un cadre fixé par la société tête de réseau (groupe « structurel »).

Quoi qu’il en soit, la constitution de groupes de sociétés n’est pas anodine. Elle offre des avantages stratégiques pour le développement des activités :

  • Réaliser des opérations de concentration, c’est-à-dire de regrouper sous une seule autorité les divers stades de production et distribution concernant un type de biens ou services (concentration verticale) ou de maîtriser le secteur entier de la fabrication et de la commercialisation de ces produits ou services (concentration horizontale) ;
  •  Optimiser la chaîne de commandement améliorant la productivité de l’ensemble. Le pouvoir décisionnel est ainsi confié à la direction du groupe (société mère), tandis que les moyens pour y parvenir sont laissés à l’initiative des sociétés filiales ;
  • Favoriser la prise de contrôle à moindre frais de sociétés en s’appuyant sur l’achat par effet de levier ou LBO (Leverage Buy Out) par l’entremise d’une holding ;
  • Limiter les risques tout en diversifiant ses activités. La simple détention de titres de sociétés filiales permet finalement une cession assez simple, au lieu de s’encombrer d’une branche d’activité peu lucrative. Dans l’hypothèse d’une activité déficitaire, seule la filiale à l’origine de cette activité se trouvera en difficulté.  De même, cela permet pour les sociétés de renommées publiques de réaliser furtivement une opération à l’issue douteuse.

Le groupe de sociétés en tant qu’entité unique

Le régime des groupes de sociétés prévoit certaines règles fondées sur une prise en compte du groupe en tant qu’entité, ce qui déroge au principe d’indépendance des sociétés le composant.

En premier lieu, la constitution d’un groupe de sociétés fait naître d’importantes obligations d’information.  Il faut tout d’abord en référer aux associés eux-mêmes. En effet, « lorsqu’une société a pris, au cours d’un exercice, une participation dans une société ayant son siège social sur le territoire de la République française représentant plus du vingtième, du dixième, du cinquième, du tiers ou de la moitié du capital de cette société ou s’est assuré le contrôle d’une telle société, il en est fait mention dans le rapport présenté aux associés sur les opérations de l’exercice et, le cas échéant, dans le rapport des commissaires aux comptes » (art.  L. 233-6 C. com.). Il est également nécessaire que l’activité des filiales fasse l’objet d’une information au niveau de la société tête de réseau puisque ses dirigeants sont tenus d’établir un rapport de l’activité et des résultats de l’ensemble des filiales. Le Conseil d’administration, le directoire ou le gérant doit également annexer au bilan de la société mère un tableau reprenant la situation des filiales et les participations (art. L. 233-15 C. com.).

En second lieu, il est indispensable d’opérer une consolidation des comptes, afin de présenter la situation financière et les résultats du groupe en tant qu’entité unique. A ce titre, il ne peut figurer que les résultats issus de transactions effectuées avec des tiers. Assurément, les comptes doivent être présentés de manière régulière, sincère et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité (art. L. 233-16 et s. C. com.).

En troisième lieu, depuis la loi PACTE du 22 mai 2019, les groupes de sociétés doivent de doter de commissaires aux comptes dès lors que l’ensemble formé dépasse les seuils fixés par décret pour deux des trois critères suivants :  montant cumulé CA HT supérieur à 8 millions d’euros, nombre moyen de salariés supérieur à 50, bilan cumulé supérieur à 4 millions d’euros.

Enfin, le droit du travail impose la constitution d’un organe de représentation des salariés au niveau du groupe, sous la forme d’un comité de groupe (art. L. 2331-1 C. trav.).

La persistance de l’autonomie des composantes du groupe de sociétés

Le groupe de sociétés ne dispose pas d’une personnalité morale autre que celles des sociétés le composant. A cet égard, le droit des sociétés veille à garantir un seuil d’autonomie minimum pour chaque composante sociétaire.

On retrouve tout d’abord des règles qui visent à limiter l’autocontrôle, c’est-à-dire le fait pour une société de contrôler une autre société du groupe, la dernière contrôlant pareillement la première, afin de déterminer la manière dont seront employés les droits de vote des sociétés respectives à l’occasion de leur Assemblée générale respective. Il est donc fait interdiction pour les sociétés par actions, d’exercer les droits de vote concernés à l’AG de l’une d’elle, sous peine de sanctions pénales pour les dirigeants (art. L. 233-31 et L. 247-3 C. com.).

Sont également prohibées les participations réciproques en raison du risque de fictivité du capital social qu’elles recèlent et du verrouillage du contrôle des sociétés, dans les conditions de l’article L. 233-29 C. com. pour les sociétés par actions, et L. 233-30 pour les autres.

Ensuite, le législateur veille également à préserver l’autonomie patrimoniale des sociétés du groupe. Chaque société conserve une personnalité juridique distincte. Par suite, le passif et l’actif de chaque société n’échoient qu’à elle-même. Ce constat appelle plusieurs conséquences.

D’une part, les actes de l’une n’engageront que celle-ci.  Ainsi, le groupe de sociétés ne peut pas faire l’objet d’une condamnation générale en raison de pratiques anti-concurrentielles accomplies par certaines filiales. On notera cependant des atténuations au principe d’autonomie des sociétés du groupe. En particulier, le droit européen de la concurrence fait preuve de certaines largesses en se basant sur la notion d’influence déterminante qu’il fait peser sur la société mère pour engager la responsabilité de la société actionnaire à 100% de filiales ayant participé à une entente (CJUE, 20 janvier 2011, « Repsol Quimica SA et alii »).

Enfin, l’état de cessation des paiements est apprécié individuellement en cas de difficultés économiques, en vue de l’ouverture d’une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire (Ccass., Com., 3 juillet 2012, n°11-18.026, « Sodimedical »).

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