Les deepfakes, une menace pour tous ?

28 février 2021

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« Je ne crois que ce que je vois » affirmait Saint Thomas. Cependant, en 2021 et pour l’avenir, cette affirmation devra être nuancée. Les deepfakes sont des superpositions d’images ou de vidéos sur d’autres images ou vidéos réalisés grâce à l’intelligence artificielle (IA).  Ces deepfakes ne sont cependant pas qu’une prouesse technique, ils peuvent en effet représenter une menace pour les différents acteurs de la société.

Les dangers des deepfakes pour la stabilité démocratique 

Les logiciels de deepfakes sont au centre des préoccupations de certains Etats. En effet, ces softwares s’érigent comme une nouvelle manière de menacer un régime politique. La diffusion virale du montage reprenant l’image d’Obama insultant d’idiot le président alors à la tête des Etats-Unis, Donald Trump illustre parfaitement les manipulations politiques possibles. Ce deepfake partagé en masse sur les réseaux sociaux illustre la manière dont des opposants à un régime politique, à un mouvement social pourraient s’en prendre aux principes de base de la démocratie, à la manière des « fake news ». L’expansion de l’usage de ces deepfakes entacherait la confiance des citoyens, déjà bien souvent limitée à l’égard de leurs institutions démocratiques, c’est d’ailleurs ce que relève Hany Farid, professeur d’informatique et spécialiste en image digitale alerte : « à quoi ressemblera le monde quand n’importe qui pourra faire un faux, et qu’en plus chaque image pourra être remise en cause ? ». Les Etats sont parmi les premières victimes de ces deepfakes et ils sont d’ailleurs à la recherche de solutions pour lutter contre ceux-ci. L’US Defense Advanced Research Projects Agency finance par exemple le Media Forensics Project pour permettre le développement de technologies capables de cibler et d’identifier les deepfakes

Seulement, ces deepfakes ne sont pas seulement une menace pour les Etats, ils peuvent toucher des acteurs de la vie économique mais aussi des personnes physiques.

Les deepfakes, un enjeu pour différents acteurs économiques 

Quelques entreprises ont déjà dû faire face aux deepfakes et à leurs effets mais il faut redouter une forte croissance de ces usages.

Le Washington Post a relevé notamment quelques cas d’arnaques aux entreprises par l’intermédiaires de deepfake, notamment audios. En avril 2019, le Washington Post https affirme qu’une entreprise s’est fait dérober 240.000 dollars après qu’un employé ait été dupé par un deepfake se faisant passer pour son patron lui réclamant le virement de cette somme. C’est une menace qui pourrait se généraliser à l’avenir, et instituer un climat de méfiance, peu propice au développement et à la sécurité des affaires.

Certains voient également dans ces deepfakes une menace pour les marchés boursiers. C’est le cas de François Barrière, professeur à l’Université de Lyon 2. On sait en effet le rôle de la confiance dans la bonne tenue des marchés financiers. Or, le doute que les deepfakes pourraient introduire dans l’esprit des investisseurs pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les marchés financiers. 

Cependant, aujourd’hui, une immense partie des victimes des deepfakes sont des personnes physiques, le plus souvent célèbres. C’est récemment le rappeur Jay-Z qui a été visé par Vocal Synthesis, un créateur anonyme sur YouTube mais c’est surtout l’image de certaines actrices notamment qui est utilisée, essentiellement dans des contenus pornographiques (la pornographie représentait 96% des utilisations de deepfake selon le rapport de Deeptrace en 2019), sans requérir le consentement de ces personnalités. Ces utilisations de l’image semblent inarrêtables aujourd’hui du fait de la simplicité et de la viralité avec lesquelles ces vidéos ou contenus audios sont diffusés sur internet. 

Alors comment lutter contre des deepfakes de plus en plus perfectionnés et accessibles qui pourraient devenir le cauchemar de nombreux acteurs économiques ?

Des solutions existantes à perfectionner

Le droit positif français n’est pas totalement dépourvu de moyens de lutte contre ces deepfakes

Le droit civil et le droit pénal français représentent des moyens sérieux pour réprimer ces montages. Le Code pénal d’abord, prévoit dans son article 226-8 que « le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention. » constitue un délit puni jusqu’à d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Pourrait également être sollicitée l’usurpation d’identité prévue à l’article 226-1 du Code pénal. En matière civile, le respect de la vie privée pourrait être sollicité devant les juridictions mais également le droit à l’image qui, pourrait devenir un outil majeur.

Pour certains, le droit actuel permettrait aux victimes de ces deepfakes de se défendre correctement par l’utilisation de fondements préexistants. Si une jurisprudence existe déjà sur le photomontage (Arrêt Mireille Mathieu rendu par la de Cour d’appel de Paris, pôle 1 – ch. 2, 3 oct. 2019, n° 18/27200), il n’y a pas a priori de décision qui ait été rendue concernant les deepfakes très précisément, cependant ce temps viendra assurément. Il s’agira alors pour les victimes et leurs avocats de faire preuve de créativité en adaptant des catégories existantes au cas particulier des deepfakes

Pour d’autres cependant, le droit, et notamment le droit français, devrait se munir d’outils plus efficaces pour lutter a priori contre l’émergence de ces deepfakes. Il nous paraît essentiel de détecter le plus tôt possible ces derniers. L’aide de l’IA serait particulièrement pertinente ici, afin d’éviter notamment que les réseaux sociaux soient inondés de tels montages aux effets souvent délétères.

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