Forme d’organisation juridique de l’entreprise, la société n’est pas nécessairement une structure autonome et fermée. Elle peut appartenir à un groupe de sociétés, affiliation pourvue d’effets juridiques importants. A cet égard, la notion de co-emploi présente un intérêt particulier. Employée en présence de groupes composés de plusieurs structures juridiquement indépendantes – mais demeurant liées par des liens financiers étroits – le co-emploi est une question sensible. Il interroge sur l’Etat et le partage de la responsabilité des sociétés mères et filiales en cas de licenciement.
I. Co-emploi et groupe de sociétés
Le co-emploi est une notion jurisprudentielle qui s’est particulièrement affinée au fil des contentieux mêlant diverses sociétés et leurs salariés appartenant à un même groupe.
Les groupes de sociétés correspondent à un phénomène devenu incontournable, et cela pour des raisons éminemment économiques plus que juridiques. De manière succincte, un groupe est se compose d’un ensemble de sociétés conservant chacune leur personnalité juridique, mais ayant entre-elles des liens juridiques plus ou moins étroits d’un point de vue capitalistique ou contractuel. Ce conglomérat est organisé par une société, dite « société mère », qui assure un contrôle de la collectivité, définit une politique commune et impose parfois ses décisions.
C’est justement dans ce contexte, marqué par la présence d’une société dominante, qu’a été consacré le concept de co-emploi. D’origine prétorienne, il permet d’étendre les obligations de l’employeur (la filiale) issues du contrat de travail à une entreprise (la société mère) absente de la relation contractuelle initiale. Le co-emploi conduit notamment à rendre solidairement responsable une société mère des conséquences qui procèdent du licenciement d’un salarié pour motif économique acté par sa filiale.
Il est en effet très fréquent en pratique qu’une société mère s’immisce dans la gestion de ses filiales. Il apparaît donc légitime qu’un salarié ayant fait l’objet d’un licenciement économique invoque, en dehors du lien de subordination, la qualité de co-employeur de la société mère pour lui réclamer l’exécution des obligations prévues au titre du Code du travail (obligation de reclassement ou versement des indemnités de licenciement en cas de liquidation judiciaire de l’employeur).
Par conséquent, le co-emploi constitue une garantie considérable pour les salariés. Il n’est guère surprenant que les recours tendant à faire reconnaître cette qualification soient très fréquents. Il ne l’est pas davantage que la Cour de cassation ait cherché à restreindre la reconnaissance du dispositif pour le circonscrire à des situations exceptionnelles.
II. Caractérisation et conséquences du co-emploi
Le co-emploi permet à un salarié tenu par un seul contrat de travail d’être lié à plusieurs employeurs. Sa reconnaissance fait alors du contrat de travail une relation tripartite et l’objectif est assez clair pour le salarié : l’ajout d’un débiteur solidaire afin d’améliorer ses chances d’indemnisation ou de reclassement.
Cette théorie a connu un succès significatif, conduisant la jurisprudence à émettre des critères quant à sa caractérisation. La question a fait l’objet de refonte successive et n’a d’ailleurs pas été épargnée par les critiques doctrinales. En effet, il lui est reproché d’être imprécise et à l’origine de nombreuses incohérences eu égard des principes attachés à la personnalité morale des sociétés ainsi qu’à l’organisation rationnelle des groupes de sociétés. Quoi qu’il en soit, le sujet est parvenu récemment jusqu’aux magistrats du Quai de l’Horloge en fin d’année 2020.
A ce titre, il a été jugé « qu’en dehors de l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de co-employeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière » (Cass. Soc. 25 nov. 2020 n° 18-13769).
Le co-emploi est donc une sorte de « technique d’imputation d’obligations légales ». Pour en bénéficier, il faudra démontrer l’existence d’un lien de subordination ou à défaut, les critères exigés dans l’arrêt précité. Certes, la présente décision maintient le « co-emploi non subordonné », mais la position adoptée par la Cour est plus restrictive que par le passé car l’exigence d’une triple confusion d’intérêts d’activités et de direction disparait. (Cass. Soc. 2 juillet 2014, n°13-15.208).
S’il est certain que la reconnaissance du co-emploi produit des effets positifs pour les salariés, la tendance tend à la raréfaction de sa reconnaissance. Néanmoins, si la relation de co-emploi était établie, l’obligation de reclassement en cas de licenciement serait partagée entre la société mère et sa filiale, de même que pour le versement des indemnités de licenciement.
En outre, la validité du plan de sauvegarde de l’emploi ne s’appréciera plus au niveau de la seule société signataire des contrats de travail, mais le sera désormais également au niveau de la société à laquelle a été reconnue la qualité de co-employeur.
N.B. : L’immixtion d’une société mère dans la gestion de sa filiale n’engage pas nécessairement sa responsabilité. Toutefois, la prise de décisions profitables pour elle-même, mais dommageables pour sa filiale en cas de dégradation de la situation économique, peut donc justifier le versement de dommages-intérêts aux salariés qui avaient subi un licenciement (Cass. Soc. 8 juillet 2014, n°13-15.573).