Vol d’avions par la Russie, polémique sur le titane russe des avions, déplacement des réfugiés ukrainiens, interdictions de vol… L’invasion récente de l’Ukraine par la Russie a souligné l’importance de l’aéronautique dans les conflits modernes. Mais alors, quels sont les enjeux et impacts juridiques aéronautiques d’une telle crise internationale ?
L’impact d’un conflit international sur l’aéronautique « civile »
Le transport aérien civil a pris une ampleur considérable ces 30 dernières années. En effet, quel meilleur outil pour se déplacer au sein des différentes nations du monde.
Or, lors d’un conflit international, le premier réflexe des populations civiles est bien souvent de se déplacer.
Néanmoins, très vite, deux événements se produisent :
• Les aéroports sont pris pour cible par les forces armées des belligérants ;
• Des interdictions de vols sont mises en place par une grande partie des nations.
La situation en Ukraine n’a pas échappé à ces nouvelles règles.
Les Russes ont ciblé dès les premiers jours les grands axes de transports et en premier lieu les aéroports (publics et privés). Et presque aussi rapidement, l’Union Européenne a pris des mesures pour interdire l’espace aérien européen aux avions russes mais aussi les transports passant par l’espace aérien Russe.
Cette situation est-elle légale du point de vue du droit aéronautique international ?
Et bien la réponse n’est pas si simple. Le droit des transports est en effet par nature international, il prend donc largement appui sur des conventions internationales. Mais ces conventions sont modales, elles ne traitent qu’une part de l’aéronautique international, c’est à dire qu’elles ciblent chacune un type de transport ; bien qu’il existe certaines exceptions comme la Convention Internationale de Montréal de 1999 qui à cette spécificité de concerner à la fois les passagers et les marchandises.
Ces conventions sont abondantes mais ont l’avantage d’être impératives. Il faut rappeler à ce titre que les sources du droit international priment pour la plupart des Etats sur les droits nationaux (CJCE, 15 juillet 1964, Costa c/ Enel).
En matière de transport aérien international, la plupart des règles proviennent de la Convention Internationale de Montréal précitée mais aussi de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929. Et là nouveau problème, la Convention de Montréal était censée remplacer la Convention de Varsovie… Cependant, comme de nombreux Etats n’ont pas ratifié la Convention de Varsovie, beaucoup de règles datant de 1929 restent applicables.
C’est tout l’enjeu et la difficulté du droit aérien international, chaque État possède ses propres engagements et aucune uniformisation véritable n’a eu lieu pour un secteur dont l’uniformisation semble pourtant obligatoire.
Si l’Union européenne a de son côté amorcé cette uniformisation, l’unionisation apparaît étrangement moins importante pour les transports que pour d’autres services. Il n’existe en effet pour le moment que deux règlements sur le sujet dont le plus important est le règlement 261/2004 du 11 février 2004 qui vise des mesures d’indemnisation et d’assistance en cas de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard important.
Par conséquent, face à un vide juridique immense, on peut imaginer qu’en temps de conflits, toute mesure peut être prise. Cette situation dangereuse n’incite ni les belligérants à la paix, ni les freine dans leurs actions de guerre. Espérons que l’invasion de l’Ukraine par la Russie pousse les juristes internationalistes à agir en ce sens, afin éventuellement de mettre en place des mesures qui pourront protéger les civils, et leur permettre de quitter rapidement les zones de guerre.
L’impact d’un conflit international sur l’aéronautique « commerciale »
L’un des enjeux majeurs du conflit est également celui des matières premières et de l’approvisionnement desservi par voie aérienne.
Le conflit va au-delà des blocages de vols commerciaux par les coalitions européennes, rarement vues jusqu’à présent avec un tel degré de ferveur. En effet, depuis l’effondrement du bloc soviétique et l’occidentalisation du matériel aéronautique russe, la Russie est devenue dépendante d’une industrie aéronautique immatriculée hors de son territoire. Les bailleurs américains, européens font face à l’obligation de rapatrier leurs avions jusqu’au 28 mars 2022 dernier.
L’obligation d’immatriculer « tout aéronef engagé dans le trafic international [qui] doit porter des marques de nationalité et d’immatriculation » ressort de l’article 20 de la Convention de Chicago de 1944, reprise par l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale). La Fédération de Russie est signataire et a ratifié cette convention internationale majeure en 1970, qu’elle a conservé après sa transformation en République.
Afin de pallier cette sanction européenne, le gouvernement russe s’est autorisé à ré-immatriculer les avions conçus à l’étranger. Cette mainmise qualifiée de « vol » par le directeur général du Transport à la Commission européenne, concernerait plus de 500 avions, sur les 1367 avions exploités par les compagnies aériennes russes.
Dans la même lignée, la question de la suspension des certificats de navigabilité par différentes autorités de l’aviation civile à travers le monde représente 10 milliards de dollars. Mais la Russie a contre-attaqué avec l’obtention de certificats de navigabilité russes valables au sein du territoire national. Une réponse limitée face à un problème d’envergure.
En définitive, la liberté contractuelle assurée par le règlement Rome I du 17 juin 2008 s’appliquant en matière civile et commerciale dans le cadre des obligations contractuelles internationales est néanmoins mise à l’épreuve du côté des bailleurs français, allemands, néerlandais. Encore faut-il qu’ils récupèrent leurs biens intacts. Le règlement fait la distinction en fonction de l’objet du transport. En matière de transport de marchandises, l’autonomie de la loi s’applique et à défaut la loi applicable est celle du pays débiteur de la prestation caractéristique. Toutefois, l’application de ces règles de conflit sont complexes, surtout défavorisées par le climat de belligérance qui règne sur l’ancien « rideau de fer ».
D’autre part, la Russie, de loin l’État avec le territoire le plus vaste, bénéficie d’un territoire regorgeant de nombreuses matières premières fondamentales. A ce titre, le producteur n°1 de titane est une entreprise russe spécialiste en la matière depuis 1933, nommée Vsmpo-Avisma. Aux côtés du titane, le palladium, l’alimunium (l’entreprise russe « Rusal » en étant le 2e producteur industriel), le nickel, le platinum (fourni à 40% par la Russie) sont également de la partie. L’Europe ainsi toujours dépendante envers la Russie pour l’acquisition de ces matériaux cherche une voie de secours pour être en phase avec ses dissentiments politiques. L’Europe fait ainsi le choix ardu de limiter ses achats russes. A cet égard, les entreprises Airbus et Safran n’achèteront pas du matériel russe sachant qu’ils ont des stocks suffisants pour leurs activités jusqu’en automne 2022. Pendant ce temps, la recherche d’alternatives pour couvrir la période d’hiver 2022 et le début de l’année 2023 n’est pas fructueuse. Remplacer le fournisseur russe par des producteurs alternatifs comme notamment l’Afrique du Sud qui a affirmé vouloir accroître sa production de platinoïde, ne sera pas chose aisée, mais chose à oser.
L’avenir de l’aéronautique civil et commercial en zone de guerre est embrumé, tant par les sanctions successives et réciproques de l’un et de l’autre camp, que par les échecs de pourparlers, seuls espoirs d’une paix ravivée.