La « Third Party Ownership »: le commerce d’être humain 2.0

12 juin 2021

Comme chacun sait, le football est un business juteux et particulièrement florissant, ce qui entraîne une certaine atmosphère criminogène dans un contexte au sein duquel il est déjà compliqué de trouver sa place. Les joueurs de football, lorsqu’ils ne sont pas cibles de faux agents mal intentionnés motivés par l’appât du gain, ont fait l’objet depuis plusieurs décennies d’un système ayant attiré fortement l’attention de la FIFA : la « Third Party Ownership », TPO, ou encore la Tierce Propriété. Dans une période où les montants de transferts n’ont jamais été aussi élevés, voici comment les acteurs de la finance ont, pendant un temps, tiré leur épingle du jeu. 

I/ Le concept de la TPO 

L’enjeu de la TPO est plutôt simple : réaliser des investissements, spéculer, anticiper l’achat/revente d’un sportif au sein d’un club de football déterminé. En somme, un club rencontrant des difficultés financières va se rapprocher d’un fonds d’investissement qui va lui prêter de l’argent à hauteur d’un pourcentage prévu contractuellement. Si tout se passe bien pour l’ensemble des parties concernées, le joueur pourra être transféré dans un autre club et dont le montant de transfert devrai être supérieur au montant d’achat. A l’issue de la transaction, le fonds d’investissement percevra une partie de l’indemnité de transfert à hauteur du pourcentage investi initialement durant l’achat (correspondant à des droits économiques), tandis que le club aura droit au reste de l’indemnité de transfert. 

En principe, à défaut de performance suffisante empêchant la réalisation du transfert d’un joueur faisant l’objet d’une TPO, le fonds d’investissement est en général demandeur de garanties importantes de la part du club concerné pour pouvoir limiter au maximum les aléas financiers résultants d’une mauvaise spéculation. 

Ce mécanisme facilitant le fonctionnement des clubs de football est né en Amérique du Sud dans les années 80-90 lorsque les clubs ne pouvaient gagner de l’argent qu’en réalisant ce type de montage financier, et dans le but d’assurer leur pérennité. Il a quand même été rencontré, voire réalisé, par plusieurs clubs renommés tel que le FC Porto, Chelsea, ou même dans l’Hexagone. 

II/ Un acte controversé et interdit par la FIFA

Sur le papier, dans un monde libéral comme le nôtre, la TPO peut sembler être un moyen louable permettant d’accroître la concurrence et l’entrée des financiers encore un peu plus dans le milieu footballistique impliquant l’assurance d’une certaine compétitivité parmi les clubs. Mais en réalité, la question se pose, et à juste titre, de savoir s’il ne s’agit pas réellement d’un système à la limite du commerce d’êtres humains. Même si ce point ne peut être comparable à l’infraction qu’est le réel trafic d’êtres humains, il convient de souligner que les sportifs faisant l’objet d’un tel dispositif sont des produits financiers sur lesquels les fonds d’investissement spéculent dans un but unique : fructifier leurs dépenses. Ainsi, le sportif n’est plus vraiment considéré comme un travailleur salarié classique mais comme une source de financement, ce qui pose une problématique plus qu’importante. 

Dans un tel contexte, le sportif n’est plus réellement maître de ses décisions futures en ce qui concerne sa carrière, puisqu’il subira de facto une contrainte, voire une atteinte à ses libertés fondamentales en matière de travail. Ce fut notamment l’argument du Syndicat international des footballeurs, détracteur de premier rang de la « Tierce propriété ». Aussi, le club lui-même devra consulter la « tierce partie » lorsqu’un élément déterminant de la carrière du sportif au sein du club sera sur la table. Un rapport de force est ainsi créé entre les trois entités dont seul le fonds d’investissement conserve effectivement et réellement le dernier mot. 

Alertée par toutes les dérives qu’implique le recours à la TPO, la FIFA a réagi en conséquence en interdisant formellement le recours à cette pratique à compter de 2015 au sein de l’article 18bis de son règlement sur le statut et le transfert des joueurs, qui prévoit que : 

« Aucun club ne peut signer de contrat permettant aux clubs adverses, et vice versa, ou à des tiers d’acquérir dans le cadre de travail ou de transferts la capacité d’influer sur l’indépendance ou la politique du club ou encore sur les performances de ses équipes. 

La Commission de Discipline de la FIFA peut imposer des sanctions aux clubs ne respectant pas les obligations prévues par le présent article. »

Consciente des enjeux liés à ce dispositif, la Fédération Internationale n’a ainsi pas hésité à sanctionner plusieurs équipes à hauteur de 55 000 CHF jusque 185 000 CHF assortis d’avertissements ou de blâmes, comme le FC Séville, Twente aux Pays-Bas ou K Saint-Trond VV en Belgique. Néanmoins, un fonds d’investissement célèbre, Doyen Sports, ayant fait parler de lui à de nombreuses reprises en matière de TPO a déjà eu gain de cause auprès du Tribunal Arbitral du Sport de Lausanne, en 2014, dans le cadre du transfert d’un joueur « possédé » par ce dernier non payé par le club avec lequel il était lié. 

III/ L’affaire Doyen Sports : l’élément déclencheur médiatique 

La TPO s’est notamment fait connaître en 2016 auprès du grand public lorsqu’est sortie une enquête issue de Football Leaks. Cette dernière a découvert et expliqué le mécanisme de la TPO en dévoilant des documents plus que confidentiels dans le cadre du transfert du défenseur franco-belge Eliaquim Mangala, du FC Porto vers Manchester City en 2014. Le fonds d’investissement mentionné précédemment Doyen Sports a en effet financièrement aidé le club portugais à acquérir le joueur à hauteur de 33% et a perçu, lors du transfert, un montant non négligeable de 17,9 millions €. Un autre fonds, Robi Plus, a acquis 10% de la propriété du même joueur. Cette divulgation a ouvert les yeux des supporters, notamment en raison de la plus-value réalisée pour un investissement relativement minime. Le défenseur lui-même a avoué ne pas avoir été au courant des modalités de cette propriété par des tiers. 

IV/ Et maintenant ? 

Malgré une interdiction par la plus haute instance du football (et ayant été prohibée par certaines fédérations nationales comme la France préalablement), les acteurs de la TPO ont trouvé et continuent de chercher des stratagèmes assimilables à cette pratique comme la TPI (Third Party Investment) au cours de laquelle une banque peut prêter de l’argent à des clubs ou encore des méthodes entre agents, clubs et joueurs eux-mêmes. La TPI a même été un aspect « intéressant » pour l’actuel président de la Ligue Professionnelle de Football (LFP) Vincent Labrune, à l’époque où ce dernier était président de l’Olympique de Marseille.  

Si la TPO est constitutive d’une des plus grandes dérives du football pour la plupart des afficionados, l’appât du gain aura toujours une longueur d’avance sur le sport et de plus en plus de systèmes devraient voir le joueur si la pratique ne réglemente pas au mieux les modalités de transfert, notamment dans le football.  

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