Carton rouge pour les “hijabeuses” 

8 février 2024

Carton rouge pour les “hijabeuses” 

Le 29 juin 2023, le Conseil d’État a rendu une décision maintenant l’interdiction du port du voile islamique sur les terrains de football. Ce n’est pas sans dire que celle-ci a suscité de nombreux débats au Sénat. 

1. La difficile articulation entre l’exercice des libertés individuelles et la protection indispensable de l’ordre public 

A. La contestation du règlement de la fédération française de football au moyen du principe de non-discrimination

Depuis 2016, l’article premier du règlement de la fédération française de football interdit “tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale”.

Cet article est visé par un collectif de militantes : “les hijabeuses” qui souhaitaient notamment pouvoir porter le hijab lors de la pratique du football.

Le collectif a alors assigné ladite fédération devant le Conseil d’État afin de la contraindre à modifier cette partie règlement en question au moyen de la méconnaissance “du principe de non-discrimination à raison des opinions politiques, des activités syndicales, ou des croyances religieuses garanti par l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales”.

Quelle était la position du rapporteur public ? Tout d’abord, celui-ci n’est pas partie au procès mais il intervient à l’audience à la fin de l’instruction afin de proposer une solution juridique sur l’affaire en question. En outre, il ne participe pas au délibéré de la formation de jugement qui ne suit pas nécessairement ses conclusions. 

Le rapporteur public avait évoqué le fait “qu’il n’y avait ni prosélytisme, ni provocation dans le seul port du hijab et aucune exigence de neutralité pour les joueuses licenciées de la FFF”.

B. La problématique toujours actuelle

La problématique de la conciliation entre l’exercice des libertés individuelles et la protection indispensable de l’ordre public demeure et la Haute juridiction administrative y est souvent confrontée. 

L’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dispose que “la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”. 

Lorsqu’un citoyen souhaite exercer une liberté fondamentale, il doit le faire dans le cadre du strict respect des autres membres de la société. Une liberté sans limite ne peut aboutir qu’à la loi du plus fort et à donc à la négation de la liberté même. 

Qu’est-ce que l’ordre public ? Selon le droit administratif français, la notion d’ordre public recouvre “le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique”.

Ainsi, le législateur et les juges ont pour objectif de trouver un équilibre entre le respect des libertés individuelles sans que celles-ci ne portent atteinte aux bonnes mœurs et à la protection de l’ordre public. 

2. La primauté de l’ordre public justifiée par le principe de neutralité 

A. “Le bon déroulement des compétitions sportives” comme justification de l’interdiction du port du hijab

En l’espèce, le Conseil d’Etat fait primer les considérations d’ordre public par rapport à la liberté religieuse de l’usager du service public. 

Il justifie sa décision sur le “bon fonctionnement du service public” du sport. Afin d’assurer le bon déroulement de la rencontre, il serait nécessaire d’exclure les “affrontements ou confrontations sans lien avec le sport”. Effectivement, seules les règles du sport doivent permettre à une compétition sportive de confronter les sportifs. 

De ce fait, les juges administratifs estiment que la disposition est adaptée et proportionnée. 

De plus, est visé directement “le bon fonctionnement du service public en justifiant des restrictions aux libertés, notamment religieuses”. En conséquence, c’est le principe de neutralité auquel il est fait indirectement référence ici. 

b. Les personnes en charge d’un service public soumises au principe de neutralité

La plus Haute juridiction administrative admet la possibilité pour les fédérations de prendre des mesures limitant la liberté d’expression et de conviction afin de “garantir le bon fonctionnement du service public et la protection des droits et libertés d’autrui”. 

Pour affirmer la légalité de l’interdiction des signes religieux dans le sport, le Conseil d’Etat a affirmé que le principe de neutralité du service public s’appliquait aux fédérations sportives. Pour le Conseil d’Etat, les agents des fédérations sportives “et plus largement toutes les personnes sur lesquelles elles ont autorité doivent s’abstenir de toute manifestation de leurs convictions et opinions personnelles”.

Selon l’article L.121-1 du code général de la fonction publique, l’agent public est tenu à une obligation de neutralité. Il doit exercer ses fonctions dans le respect du principe de laïcité et doit s’abstenir de manifester ses opinions religieuses. 

Le Conseil d’État se fonde sur l’obligation de neutralité qui s’impose à tous les agents publics dans l’exercice de leurs fonctions auxquelles les athlètes y sont assimilées.  Leur liberté d’expression peut être limitée au cours des matchs par des règles de participation édictées par les fédérations, si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d’autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs.

Et dans les autres sports ? 

Concernant, pour le rugby, l’ancienne joueuse internationale française avait pu disputer des matchs avec son voile qui était sous un casque de protection de rugby. La Fédération française de rugby a autorisé le foulard mais uniquement “s’il ne constitue pas un danger pour celle qui le porte ou les autres joueuses“.  

En handball, le hijab est autorisé, à condition qu’il soit de sport, comme certaines marques en commercialisent aujourd’hui. 

Dans d’autres fédérations, les joueuses peuvent porter le foulard sans restriction, comme en tennis, puisque la FFT demande simplement “des vêtements compatibles avec la pratique” de ce sport.

Pour conclure, l’avocate des “hijabeuses” invite ses clientes à saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Elle a affirmé que la motivation du Conseil d’État “malmène le principe de laïcité”. La Cour européenne des droits de l’Homme peut se prononcer sur la conformité de la décision par rapport à la Charte européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

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