Depuis juillet 2014, et jusqu’au 31 janvier 2022 au moins, pour sanctionner l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, 185 personnes et 48 entités sont soumises à des mesures de gels des avoirs et l’entrée sur le territoire de l’UE leur est défendu. Sergey Valeryevich Aksyonov (déclaré Premier Ministre de Crimée par les russes), Vladimir Andreevich Konstantinov (déclaré porte-parole de l’équivalent du Conseil d’Etat en République autonome de Crimée) en sont des exemples.
Comment se manifeste la réglementation en matière d’embargo ? Les mesures restrictives relatives à l’embargo sont-elles efficaces ?
L’Embargo inscrit au sein d’une variété d’autres sanctions économiques
Il est primordial avant d’évoquer l’embargo, de le distinguer du blocus, du boycott ou encore de la contre-mesure, qui sont toutes des moyens d’agir contre un État pour les contraindre à respecter des droits, toutefois à degrés variables.
1° D’abord, la contre-mesure, étant la plus conciliatrice, renvoie à de simples initiatives temporaires de pression pour aboutir à des règlements pacifiques de différends.
2° Ensuite, le boycott, version plus torréfiée renvoie à un procédé de protestation en vue de faire pression pour une durée variable sur « les relations politiques, économiques ou commerciales qu’il entretenait avec cet État ou les ressortissants de celui-ci. »
3° L’embargo, renvoie quant à lui à une « mesure d’interdiction ou de restriction des exportation(s) vers un ou plusieurs État(s) ou entité(s), décidée par un ou plusieurs sujets de droit international dans le but de leur imposer un certain comportement. »1
4° Enfin, le blocus, plus radical d’entre tous, fait référence à une opération militaire pour isoler un Etat en l’empêchant d’avoir des relations avec l’extérieur. En phase avec le registre du siège et de la belligérance, le blocus est une véritable « agression qualifiée ».
Quid du régime juridique de l’embargo et de ses conséquences pratiques ?
Droit et embargo : un régime juridique à huis clos
L’embargo peut être mis en place par un Etat uniquement (embargo individuel) ou par une coalition d’États (embargo collectif) afin d’atteindre l’objectif poursuivi le plus rapidement.
Le chapitre VIII de la Charte des Nations Unies intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression » et son article 41 notamment, constituent les fondements de l’action internationale en matière d’embargo. De plus, la Déclaration de Manille (15 novembre 1982) sur le règlement pacifique des différends internationaux préconise « la négociation, l’enquête, la médiation, la conciliation, l’arbitrage, le règlement judiciaire, le recours à des accords ou à organismes régionaux ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix, y compris les bons offices ».
Les mesures prennent la forme de :
- gels des avoirs (fonds et ressources économiques)
- embargo sectoriel (technologies de pointe ou équipements d’exploitation de pétrole)
- embargo militaire (sur les armes et produits de l’industrie défensive)
Le Conseil de sécurité de l’ONU créé des comités de sanction ad hoc chargés de superviser des résolutions prises. Par exemple, le Comité chargé des interdictions de voyager, de gels des avoirs contre les personnes et entités menaçant « la paix, la sécurité ou la stabilité au Mali » par la résolution 2374 en date du 5 septembre 2017.
A l’exclusion des sanctions onusiennes, d’autres organisations régionales comme l’UE ou la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) peuvent imposer des sanctions. Cette dernière a récemment accentué les pressions à l’égard des membres des autorités de transition, à l’aune des élections de février 2022 au Mali.
A titre d’illustration, seulement 1/3 des sanctions économiques aurait une efficacité selon François Géré, spécialiste en géostratégie. Un hiatus visible existe ainsi entre efficacité réelle et impact escompté.
L’élément légal en retrait en matière d’embargo : efficacité juridique ou velléités politiques ?
Si la Charte des Nations-Unies prévoit dans son article 2 § 1 que « [l’] Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres », en pratique l’utilité de l’embargo varie selon la puissance de l’Etat visé. Mais les Etats ne sont pas impacté de la même manière en fonction de leur démographie, leur force militaro-économique, leur place sur la scène internationale.
Si pour le professeur Charvin, doyen honoraire de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Nice « un système international de sanctions ne peut reposer que sur le principe de la stricte égalité́ devant la loi internationale », la pratique prouve tout son contraire. A cet égard, Bernard Ferrand évoque même un facteur « d’insécurité juridique […] contraire à l’intérêt public mondial ».
En matière d’embargo, le pan négligé est celui de l’exercice de la souveraineté d’un Etat à l’égard de ses propres ressortissants en leur interdisant d’entretenir des relations commerciales avec la partie soumise à l’embargo. L’embargo sanctionne ainsi, la population du pays visé, mais paradoxalement sa propre économie qui se trouve dès lors privée d’un marché.
Du point de vue de la protection des droits de l’Homme, les pays décisionnaires en matière de restriction d’échanges, sont souvent les États-Unis, les membres du Conseil de Sécurité à savoir la France, le Royaume-Uni, et les pays se prévalant des libertés fondamentales. Or, par exemple, l’embargo imposé à Cuba depuis 1962 et toujours en vigueur, prive la population cubaine de matériaux médicaux vitaux comme les respirateurs artificiels, les défibrillateurs, ainsi que les centres d’épuration d’eau. Telle se reflète la protection des droits humains hors frontières. Quand bien même l’aide humanitaire est une catégorie exclue de ces mesures, les sanctions creusent les failles structurelles déjà existantes.
1Répertoire de droit international, CHEMAIN Régis, Sanctions économiques: contre-mesures, boycott, embargo, blocus Dalloz, 2017.