La Cour de cassation a été saisie le 4 novembre 2021 d’une question prioritaire de constitutionnalité par différentes sociétés. Celles-ci contestent la constitutionnalité du f du paragraphe II et du c du paragraphe III de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier (CMF), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Le manquement au principe de légalité des délits et des peines
L’article L.621-15 du CMF dispose que : « II. – La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l’encontre des personnes suivantes : (…)
f) Toute personne qui, dans le cadre d’une enquête ou d’un contrôle effectués en application du I de l’article L. 621-9, sur demande des enquêteurs ou des contrôleurs et sous réserve de la préservation d’un secret légalement protégé et opposable à l’Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu’en soit le support, et d’en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels ; (…)
II. – Les sanctions applicables sont : (…)
c) Pour les personnes autres que l’une des personnes mentionnées au II de l’article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à h du II du présent article, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d’euros ou au décuple du montant de l’avantage retiré du manquement si celui-ci peut être déterminé ; les sommes sont versées au Trésor public ; »
Les sociétés demanderesses considèrent que les dispositions précédemment mentionnées ne définissent pas suffisamment le manquement réprimé, tout en prévoyant une sanction manifestement excessive.
De plus, le cumul de la sanction administrative prévue par ces dispositions avec la sanction pénale prévue à l’article L.642-2 du même code constituerait une atteinte au principe de légalité des délits et des peines et au principe de proportionnalité des peines.
Les parties évoquent également une atteinte au principe de séparation des pouvoirs, estimant que l’AMF pourrait sanctionner des personnes qui ne sont pas soumises à son contrôle.
Enfin, il serait impossible de s’opposer aux demandes de communication de documents même s’ils relèvent de la vie privée voire de l’obtention d’aveux. Le texte méconnaitrait ainsi le droit au respect de la vie privée et le droit de ne pas s’auto-incriminer.
Il découle de ce principe à valeur constitutionnelle qu’une personne ne peut pas être poursuivie à plusieurs reprises pour des mêmes faits, qualifiés de manière identique. En l’état des dispositions, les juges concluent à une atteinte au principe de légalité des délits et des peines.
Les dispositions du f du paragraphe II de l’article L. 621-15 du CMF ont été déclarées contraires à la Constitution. En effet, la répression administrative du manquement d’entrave aux enquêtes et contrôles de l’AMF prévue par ces dernières vise à interdire les mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux et ce au regard de l’article L.642-2 du CMF. Cet article prévoit que toute personne entravant la mission de contrôle de l’AMF s’expose à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. C’est ainsi que l’inconstitutionnalité déclarée se justifie, notamment au titre de l’article 8 de la DDHC, prévoyant que la loi ne doit établir que des peines qui sont strictement et évidemment nécessaires.
Le respect du principe de la proportionnalité des peines
Les juges n’ont pas reconnu l’inconstitutionnalité du c du paragraphe III du même article. Ces dispositions prévoient une sanction à hauteur de 100 millions d’euros. Or, aucune atteinte à la proportionnalité des peines n’a été admise. En effet, il s’agit d’un plafond, modulable par le juge en fonction des circonstances d’espèce. Les dispositions en cause ne sont donc pas de nature à imposer une peine manifestement disproportionnée au regard des manquements réprimés.
Au regard de la décision, les juges ne se sont pas prononcés sur l’atteinte à la vie privée évoquée par les parties. Ce qui est regrettable au titre de la question du secret de la vie des affaires. La question se pose toujours de savoir si l’obligation de fournir des documents relevant de la vie privée des personnes est conforme à la Constitution dans le cadre d’une enquête menée par l’AMF.
Enfin, aux termes de l’article 62 de la Constitution, les dispositions déclarées inconstitutionnelles doivent être abrogées à compter de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel.
Or, la suppression de telles dispositions bien que nécessaire en termes de respect de la Constitution, ne serait-elle pas de nature à rendre la sanction de l’entrave aux enquêtes et contrôles de l’AMF moins dissuasive. Les commettants risquent désormais une sanction à hauteur de 300 000 euros à la lecture de l’article L.642-2 du CMF et non plus une sanction pouvant s’élever à 100 millions d’euros. La tentation de ne pas communiquer telle ou telle informations aux contrôleurs semble pouvoir se multiplier.
Ainsi, la décision permet de mettre fin au cumul des peines dans le cadre d’une entrave aux enquêtes menées par l’AMF, pour autant elle pourrait accroitre les comportements défaillants.