Les conventions de forfait aménagent la durée du travail. Elles fixent le nombre d’heures de manière globale sans dissocier les heures normales des heures supplémentaires.Le forfait peut être en heures sur la semaine, sur le mois ou encore sur l’année. Mais le forfait peut également aussi être en jours sur l’année. Ce dernier type retiendra particulièrement notre attention. Bien que ce dispositif puisse être alléchant car semblant offrir plus de souplesse, il n’en demeure pas moins qu’il est très encadré. En effet, la santé du salarié est en jeu car il faudra, en tout état de cause, respecter les durées maximales de travail et surveiller la charge qui s’y rapporte.
Comment la santé du salarié en forfait-jours est protégée ?
Ce salarié particulier est encadré à tous les niveaux : avant la conclusion d’une telle convention (I), pendant son exécution (II). Cette protection est aussi assurée par l’existence de sanctions dissuasives à l’égard de l’employeur qui commettrait des manquements en la matière (III).
I. La protection offerte par les règles de mise en place
Le recours à une convention de forfait en jours n’est pas sans conséquence sur la santé. C’est pourquoi, il ne s’adresse qu’à un public restreint (A) et nécessite un double formalisme (B).
A- Un public restreint
L’article L3121-58 du Code du travail est sans équivoque. Le recours au forfait-jours sur l’année ne concerne que deux catégories de salariés:
- Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps dont leurs fonctions ne leur permettent pas de suivre l’horaire collectif
- Les salariés non-cadres disposant d’une autonomie dans leur emploi du temps qui ne peuvent pas prédéterminer la durée de leur temps de travail
Dès lors, restreindre à un certain public ce dispositif, est une manière de protéger le salarié. En effet, le législateur n’a pas souhaité l’entendre ou le généraliser. Par ailleurs, seuls les salariés cadres ou non cadres disposant d’une autonomie suffisante sont visés. La Cour de Cassation opère un contrôle rigoureux. Par illustration, dans un arrêt récent (Cass. soc., 27 mai 2019 (n°16-23.800)) la Haute juridiction a considéré qu’un régisseur salarié chez Disneyland ne disposait pas d’une autonomie réelle, ce qui a conduit à rendre la convention nulle. Les conditions tenant au bénéficiaire des conventions de forfaits sont alors cumulatives. Il ne suffit pas d’être un salarié avec de l’autonomie, il faut également remplir la condition tenant à l’impossible suivi des horaires collectifs.
Mais la protection du législateur ne s’arrête pas à la personne du bénéficiaire. Les conventions de forfait en jours nécessitent également l’accomplissement de formalités matérielles : il faut en effet un accord collectif et un accord individuel.
B- Un double formalisme
1. L’exigence d’un accord collectif préalable
Avant de requérir l’accord individuel du salarié, il faut qu’un accord collectif soit conclu (C. trav., art. L3121-64). Il peut s’agit d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement. De manière subsidiaire, la conclusion d’un accord de branche sera aussi envisageable.
Quelles sont les formalités exigées ?
D’abord, le texte doit rappeler les bénéficiaires (I). De plus, il doit prévoir une limite de durée. Il ne sera donc pas possible de prévoir une durée supérieure à 218 jours.
Par ailleurs, le texte prévoit aussi la possibilité pour le salarié et l’employeur de renoncer à une partie des jours de repos en contrepartie d’une majoration de salaire. Encore une fois, ceci demeure encadré car le Code du travail impose la satisfaction de trois exigences :
- Le nombre maximum de jours travaillés dans l’année doit être fixé par l’accord collectif. Si rien n’est prévu, la limité sera de 235 jours.
- La durée totale doit être compatible avec les jours de repos quotidien, hebdomadaire, les congés payés ainsi que les jours fériés.
- L’avenant individuel doit fixer le taux de la majoration du temps supplémentaire sans être inférieur à 10%.
En outre, le recours au forfait-jour suppose ainsi un dialogue avec les organisations syndicales. On peut, à nouveau, voir la volonté de protéger le salarié. En effet, il s’agit des acteurs les plus qualifiés dans la défense des intérêts des salariés qui ne manqueront pas veiller au respect des durées maximales.
Ces formalités constituent ainsi, un filet de sécurité pour le salarié en forfait-jours. Ceci est encore plus vrai quand le consentement de celui-ci est requis de manière individuelle pour la mise en place d’une telle convention.
2. La conclusion d’un accord individuel avec le salarié
Que ce soit sous forme de convention à l’embauche, ou d’avenant en cours d’exécution de travail, l’accord du salarié est requis avant de mettre place une convention de forfait-jours. Ainsi, le refus d’y recourir ne saurait constituer une sanction de la part de l’employeur.
NB : En revanche, si cela est effectué par un accord de performance collective, le refus pourrait justifier un licenciement. Même si cette modification peut être effectuée, elle ne doit pas contredire les règles relatives à la protection de la santé et de la sécurité du salarié.
Ainsi, plusieurs formalités préalables à la conclusion d’une convention de forfaits sont une source de protection. Mais, pendant l’exécution de la convention, ce bouclier demeure et s’intensifie. En effet, il existe un suivi important pour les salariés concernés.
II. L’importance du suivi du salarié
L’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié est obligatoire. L’accord collectif doit en effet imposer les modalités correspondantes ainsi que celles relatives à la communication périodique entre le salarié et l’employeur à ce propos.
De plus, le droit à la déconnexion est vigoureusement rappelé. L’accord collectif doit également contenir des dispositions sur son exercice (C. travail., art. L3121-64).
Bien que ces règles soient issues de la loi « Travail » du 8 août 2016, elles résultent d’un courant jurisprudentiel sous l’influence du Comité européen des droit sociaux (Cass. soc., 29 juin 2011 n°09-71.107).
La Chambre sociale a, d’une part, visé l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui renvoie à la Charte sociale européenne et, d’autre part, le droit à la santé et au repos, constitutionnellement garantis.
Les conséquences étaient dramatiques pour les employeurs car si la convention était invalidée, on rebasculait dans le régime classique qui distingue heures normales des heures supplémentaires. Le rappel de ces heures pouvait ainsi coûter très cher. Mais ce n’était pas la seule sanction encourue par l’employeur qui n’aurait pas été diligent…
III. Les sanctions dissuasives contre l’employeur négligent
Si l’employeur commet des manquements en violation des stipulations de l’accord collectif qui vise à assurer la protection de la sécurité et du salarié en forfait jours, la convention individuelle de forfait est privée d’effet à compter de sa défaillance. Cela permettra ainsi au salarié de prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge du fond doit vérifier l’existence et le nombre (Cass. soc., 29 juin 2011 n°09-71.107).
La charge de la preuve du respect des stipulations de l’accord collectif pèse sur l’employeur. S’il ne réussit pas à le démontrer, la convention de forfait-jours demeure sans effet (Cass. soc., 19 décembre 2018 (17-18.725)). Cette décision a d’ailleurs été réitérée très récemment (Cass. soc., 17 février 2021 n°19-15.215).
A noter : Lorsqu’une convention de forfait en jours est nulle ou privée d’effet, le temps de travail du salarié doit être décompté selon le droit commun, c’est-à-dire selon les dispositions de l’article L3121-10 du Code du travail fixant la durée légale du travail effectif à 35 heures par semaine. Mais, le versement d’un salaire supérieur au minimum conventionnel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires (Cass. soc., 4 février 2015 n°13-20.891).
Ainsi, les sanctions sont plutôt sévères. Priver d’effet une convention de forfait-jours renvoie au calcul de toutes les heures supplémentaires effectuées et les majorations correspondantes. Il y a alors un effet dissuasif à l’encontre de l’employeur et un appel à sa vigilance absolue.
Ceci n’est toutefois pas sans risque pour le salarié car dans un tel cas, l’employeur est fondé à demander le remboursement des RTT. En effet, par un arrêt récent (Cass. soc., 6 janv. 2021, n°17-28.234), la Chambre sociale estime que si la convention de forfait est sans effet, le salarié doit rembourser les jours de RTT dont il a bénéficié.
En dépit de cela, le salarié en forfait-jours ne reste pas dépourvu de toute protection et les dispositifs légaux et le contrôle jurisprudentiel veillent à sa santé et sa sécurité. L’obligation de résultats de l’employeur en la matière semble, ainsi, accentuée compte tenu des enjeux.