Henri Cartier-Bresson, William Klein, Vivian Maier, Sabine Weiss. Tous ces grands noms de la photographie pratiquent ce qu’on appelle la photographie de rue (ou « Street photography »). Ce courant photographique au croisement entre la photographie de reportage, la photographie humaniste et la photographie indépendante consiste dans le fait de capturer des moments en extérieur, dont le sujet principal est une présence humaine, directe ou indirecte, dans des situations spontanées et dans des lieux publics comme la rue, les parcs, les plages ou les manifestations. Mais il peut arriver que ces photographes vous capturent dans des situations peu flatteuses, ou dans des situations qui vous portent préjudice.
Le principe du droit à l’image appliqué à la photographie de rue :
Le droit à l’image est une des composantes du droit à la vie privée (article 9 du Code civil). Il permet à toute personne de disposer de son image, c’est-à-dire de l’ensemble des caractéristiques visibles permettant son identification. Ce droit s’applique principalement pour les personnes physiques, les biens (y compris les espaces privés) et les œuvres. Or, dans la pratique de la photographie de rue, ce sont les personnes physiques et les biens qui sont généralement heurtés.
Le droit à l’image des biens et des oeuvres :
Le droit à l’image des biens peut concerner à la fois les propriétés privées mais également les animaux. En effet, les chiens par exemple (sujet photographique favoris d’Alan Schaller notamment), sont apparentés à des biens car ils sont la propriété de leurs maîtres.
Ainsi, en ce sens, la jurisprudence est venue préciser dans un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 7 mai 2004 (n°02-10450) que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ». Cependant, la Cour vient tempérer sa décision en déclarant qu’il est possible de s’opposer à l’utilisation de cette image dans le cas où celle-ci cause un trouble anormal au propriétaire. C’est pour cette raison que la vente d’objets représentant la façade du Moulin rouge a été déclarée comme ne portant pas un préjudice anormal au propriétaire (Cass. Com., 31 mars 2015, n° 13-21300).
Dès lors, tant que l’image capturée ne porte pas un trouble anormal à son propriétaire, il est tout à fait possible de la diffuser, de la publier.
Cependant, ce principe est a nuancé puisque la liberté de photographier les biens d’autrui est limité par le droit d’auteur. En effet, si l’on prend les œuvres architecturales par exemple, elles appartiennent à leurs auteurs.
Lorsqu’elles sont originales, ces œuvres sont protégées par le droit d’auteur (article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle). De la même manière, la propriété du support matériel est indépendante de celle des droits de propriété intellectuelle (article L111-3 du même Code). Ainsi, la reproduction d’une œuvre architecturale nécessite une autorisation de la part de son auteur ou de ses ayants-droit pour en diffuser l’image.
Sauf deux cas :
- le cas où l’auteur de l’œuvre est décédé depuis plus de 70 ans. En effet, après ce délai, l’œuvre tombe dans le domaine public. Ainsi, il est en théorie possible de photographier le Louvre mais pas sa pyramide car l’auteur Leoh Ming Pei est décédé en 2019.
- le cas où l’œuvre n’est pas le sujet principal de la photographie. C’est la jurisprudence qui a choisi d’écarter ce cas d’une demande d’autorisation à l’auteur de l’œuvre.
Ainsi, vous l’avez compris, il est normalement interdit de publier une photographie de rue d’une œuvre sans l’accord de l’auteur. Cependant, pour que celle-ci puisse être interdite de diffusion, il faudrait tout de même que l’auteur prouve que votre photographie lui cause un trouble anormal.
C’est plutôt l’atteinte au droit à l’image des personnes qui engendrent des réactions assez vives.
Le droit à l’image des personnes appliqué à la photographie de rue :
Que ce soient des photos de soirées arrosées ou lors d’une balade dominicale en centre-ville, le fait de photographier des inconnus dans des situations peu flatteuses peut être problématique. C’est là qu’entre en jeu le droit à l’image. Ce droit vient protéger la dignité des personnes.
En théorie, c’est la diffusion de l’image qui nécessite une demande d’autorisation du sujet. Cependant, très rares sont les cas où la publication d’une photographie de rue a été interdite. En effet depuis 2008, la jurisprudence estime que pour faire interdire la publication il faut démontrer que la photographie porte préjudice à la personne. C’est le cas si la photo porte atteinte à sa dignité ou si elle est utilisée dans le cadre d’un divorce pour démontrer un adultère par exemple.
A contrario, la demande d’autorisation n’est pas nécessaire si la personne n’est pas clairement identifiable (l’individu est flou, de dos, ou encore à contre-jour…). Dans le cadre d’une photographie de rue représentant une foule, si la prise de vue est centrée sur une personne en particulier, l’autorisation sera nécessaire. Néanmoins, si celle-ci est utilisée afin de décrire l’actualité et qu’elle ne porte pas atteinte à la dignité de la personne, la demande d’autorisation n’est pas nécessaire.
Lorsqu’il s’agit d’une personnalité publique, l’autorisation n’est pas nécessaire si la photographie est prise dans le cadre de la fonction de cette personne. Ainsi, la photo des vacances d’une personnalité publique doit faire l’objet d’une demande d’autorisation.
Cette autorisation peut parfois être importante pécuniairement. En effet, pour utiliser une photographie représentant une personne parfaitement identifiable et la commercialiser, il est nécessaire d’obtenir une autorisation écrite de la personne spécifiant les modes de diffusion.
Finalement c’est par cet objectif de protection de la dignité humaine que la pratique de la photographie de rue est réglementée. Malgré ça, il faut également remarquer une volonté du législateur et des juges de laisser une place importante à la créativité et à la dimension artistique de la photographie.