Avec l’essor des NTIC et des revendications toujours croissantes des salariés concernant leurs conditions de travail, il est nécessaire de s’interroger sur la la liberté d’expression du salarié. Que ce soit pendant son temps de travail ou en dehors, jusqu’où peut aller la liberté d’expression du salarié ?
I. Généralités
La liberté d’expression est une liberté fondamentale très protégée. Elle est prévue par la Convention européenne des droits de l’homme, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou encore la Déclaration Universelle des droits de l’homme, qui dispose en son article 19 que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » C’est également une liberté fondamentale reconnue notamment par le Conseil constitutionnel en 1994.
II. L’encadrement de la liberté d’expression du salarié
Tout individu jouissant de la liberté d’expression, c’est évidemment le cas du salarié. Il peut en disposer pendant et en dehors du temps de travail, au sein de l’entreprise et en dehors (Cass soc, 1999). L’article L.1121-1 du Code du travail prévoit à cet effet que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
A- L’encadrement de la liberté d’expression du salarié pendant le temps de travail et dans l’entreprise
Le salarié peut donc donner son avis sur ses conditions de travail ou encore sur son fonctionnement en général sans risquer d’être sanctionné. Il peut par exemple formuler de vives critiques. A l’inverse, la liberté d’expression permet également au salarié d’être libre de ne pas donner son opinion sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise.
ATTENTION :
La liberté d’expression du salarié, exercée de manière individuelle ne doit pas être confondue avec le droit d’expression qui est collectif. Le droit d’expression permet à un groupe de salariés travaillant dans de mêmes conditions de travail de s’exprimer sur ces conditions pendant le temps de travail et dans l’entreprise.
B- L’encadrement de la liberté d’expression du salarié en dehors du temps de travail et de l’entreprise
Comme toute personne le salarié dispose évidemment de sa liberté d’expression en dehors du temps de travail. Il peut donc s’exprimer librement sur ses conditions de travail, le fonctionnement ou encore l’organisation de l’entreprise. Cependant, cette liberté n’est pas sans limites.
1/ Limites à la liberté d’expression
Le salarié reste limité dans l’exercice de cette liberté. En matière de droit du travail, les restrictions doivent être « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et « proportionnées au but recherché ». Il n’est donc pas question ici de l’empêcher totalement de s’exprimer et de donner son opinion sur ses conditions de travail. Il ne doit pas pour autant abuser de sa liberté sous peine d’être sanctionné. Il ne doit donc pas être irrespectueux, injurieux et doit respecter les obligations de discrétion et de loyauté que lui impose son emploi. Les propos tenus à l’égard de son employeur ou de ses conditions de travail ne doivent pas nuire à l’entreprise sous couvert de la liberté d’expression. De même, des informations confidentielles ne doivent pas non plus être révélées à des journalistes par exemple.
2/ La liberté d’expression sous le prisme des réseaux sociaux
A priori, la liberté d’expression, couplée à la vie privée du salarié lui permettrait de s’exprimer à sa guise sans qu’on puisse le lui reprocher, sans que l’employeur puisse le surveiller. Pour autant, le contentieux en matière de liberté d’expression du salarié devient abondant depuis l’essor des technologies de l’information et de la communication. Les salariés, en dehors du temps de travail et sur leurs réseaux sociaux personnels peuvent parfois publier de vives critiques à l’encontre de leur employeur.
Toute critique ne peut cependant pas être sanctionnée. La Cour de cassation considère qu’un groupe fermé sur le réseau social Facebook adressant de vives critiques envers un employeur n’excédait pas les limites à la liberté d’expression du salarié. En effet, en étant accessible de façon restreinte par les amis de ce dernier, le licenciement ne pouvait avoir une cause réelle et sérieuse (Cass soc, 12 décembre 2018). Cela signifie donc qu’à l’inverse, lorsque « la diffusion de propos injurieux et offensants à l’égard de l’employeur » est publique et accessible à tous, le licenciement peut être justifié.
La liberté d’expression du salarié lui permet par ailleurs de pouvoir partager des contenus à caractère politique sur les réseaux sociaux sans que ses employeurs puissent le licencier. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré en juin dernier (CEDH, 15 juin 2021, Req. 35786/19, Melike c/ Turquie) que la liberté d’expression couplée à la vie privée du salarié lui permettait d’agir librement sur les réseaux sociaux sans que ce dernier ne soit licencié.