La fraude aux quotas carbone : quand droit des affaires et casse du siècle font la paire

22 décembre 2021

La fraude aux quotas carbone : quand droit des affaires et casse du siècle font la paire

Si la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), impôt indirect sur la consommation supporté par l’acheteur, collecté par le vendeur et reversé à l’État, fait parti du socle commun des connaissances chez les friands de fiscalité, et même les plus prosélytes d’entre eux ; rares seront ceux à vous narrer leur science quant à la taxe carbone. Retour sur une escroquerie qui a coûté près d’1,6 Md d’euros à l’État.

Le carbone : un marché aux innombrables failles

Éclose le 1er janvier 2005 à la suite d’engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto, la taxe carbone est l’instauration par l’Union Européenne d’un système d’échanges de quotas d’émission de CO2 en vertu du principe pollueur-payeur. En effet, les Etats membres, considérant les préoccupations environnementales singulières à notre ère, ont instauré au début des années deux-mille un dispositif ayant pour but la dépréciation des émissions de gaz via des quotas d’émission interchangeables. L’approche se veut tant aisée que vertueuse à l’époque ; chaque année, les États européens déterminent le nombre de quotas auxquels ont droit les entreprises concernées. Chaque participant soumis au marché, doit, à la fin d’une année, restituer autant de quotas que de CO2 émis dans l’atmosphère. Ainsi, au terme de l’année civile, deux cas de figure se présentent :

  • Soit les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont inférieures au quota alloué : l’entreprise peut alors revendre ses quotas sur le marché du carbone ou décider de les garder pour plus tard, on parle de mise en épargne de quotas pour plus tard (banking) ;
  • Soit les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont supérieures au quota alloué : l’entreprise achète, à ce moment-là, des quotas supplémentaires sur le marché du carbone, les entreprises pouvant également avoir recours à l’emprunt de quotas (borrowing).

C’est alors la naissance d’un marché européen du carbone.

Mais pendant que les cols blancs de Bercy et du ministère de l’environnement s’autocongratulent, ventant les mérites dudit marché carbone, le milieu parisien de la fraude à la TVA lève son verre.

En effet, suite aux engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto et de l’instauration d’un marché du carbone européen en 2005, l’Etat français approuve et transpose le dispositif en 2007, notamment au moyen de BlueNext, plateforme boursière environnementale permettant l’interchangeabilité des quotas. Par cette plateforme, les entreprises les plus polluantes, pouvaient revendre leurs quotas si elles n’avaient pas atteint leur plafond ou racheter ceux des entreprises qui n’avaient pas dépensé les leurs.

Néanmoins, le dispositif à l’époque fait état de deux erreurs majeures, qui lui causeront la déliquescence qu’on lui avoue aujourd’hui.

La première fût d’instituer une TVA (taxe sur la valeur ajoutée) sur ces quotas. En effet, le milieu enclin et accoutumé aux malversations du type, ne surseoira pas de faire à son aise l’achat de quotas hors taxe, revendus toutes taxes comprises (TTC) ensuite. Et ce, profitant que l’Etat se charge d’avancer la TVA. À l’époque, les penseurs du système, avait omis le fait, que de potentiels escrocs familiers de l’arnaque à la TVA, se précipiteraient dans cette faille pour voler systématiquement les 19,6 % de TVA assujettis à chaque transaction. Jusqu’à gagner, pour certains d’entre eux, plus de 500 000 euros par jour.

La seconde fût celle d’ouvrir à toutes les sociétés, qu’elles soient ou non identifiées comme pollueuses, l’accès au marché du carbone. En effet, dans l’approche libérale qu’est celle du droit des sociétés, l’accès aux quotas carbone et de surcroit à BlueNext, a largement été ouvert et qui plus est, facilité. En l’espèce, il ne suffisait, pour lesdits escrocs, que de multiplier les sociétés. Pour ce faire, ces derniers ne se sont pas fait prier pour faire appel à des gérants de paille. Et ce, par le biais de prête-nom tout autant familiers qu’étrangers : cousins, oncles, tantes, grands-parents, voisins, voire retraités, hôtesses de bar ou clochards que l’on revigore avant d’accompagner dans les banques de France, Singapour, Dubaï ou Chypre afin d’ouvrir des comptes de sociétés…

Quand les chapeaux de paille braquent la Caisse des dépôts et consignations (CDC)

Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule et que le célèbre adage « jamais deux sans trois » obstine le hasard, les quotas sont immatériels – ce qui à l’époque, ne nécessite pas de gestion de stocks pour les habitués de la fraude à la TVA, qui ont communément pour pratique d’importer les marchandises en conteneur par tonnes.

Ici, pas de franchise douanière, pas de contrôle aux frontières, pas de numéro de suivi, ni de délai d’attente : les virements ont pour unique devise : l’instantanéité !

Cette escroquerie, rondement bien ficelée, qui se limitait jusqu’alors à la simple fraude TVA de type carrousel sur les marchandises, va en l’espèce, prendre des proportions gargantuesques. En effet, ce que certains s’ébaudissent à dénommer « casse du siècle », l’est d’autant plus, car il trouve à l’époque un allié tout aussi abracadabrantesque qu’invraisemblable, qui n’est personne d’autre que l’État français lui-même.

Première « blanchisseuse », la Caisse des dépôts et consignations (CDC) va avancer sans tergiverser les montants hallucinants de TVA qu’elle envoie aux filiales de pseudo sociétés du carbone, toutes localisées dans des paradis fiscaux.

Aujourd’hui, la Cour des comptes estime dans son rapport public annuel de février 2012, que la combine — qui consistait à acheter des quotas de carbone non-taxés dans des pays étrangers, et les revendre en France, à un prix incluant la TVA (19,6 %), sans jamais reverser la taxe — aurait coûté, entre novembre 2008 et juin 2009, environ 1,6 Md d’euros à l’Etat français.

Quant à Europol ; l’agence publique a évalué les pertes fiscales pour l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne à environ 5 Md d’euros. À croire que dès le début du projet environnemental ayant instauré ledit système, Jacques Chirac, ancien président de la République à l’époque, avait raison d’affirmer que « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs… »

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