La chronologie des médias à l’épreuve des plateformes SVoD : Le cas des plateformes de vidéo à la demande par abonnement (Partie II)

23 avril 2021

La chronologie des médias à l’épreuve des plateformes SVoD : Le cas des plateformes de vidéo à la demande par abonnement (Partie II)

Les plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) prennent une part de plus en plus importante dans l’industrie cinématographique. Netflix ou Disney+ en sont des exemples concrets. Ces derniers ne financent pas le cinéma français comme Canal+ le fait. C’est pourquoi, le gouvernement en concertation avec les professionnels du cinéma, souhaitent réviser la chronologie des médias pour que ces plateformes participent au financement du cinéma français. 

I. L’impertinence des SVOD 

La chronologie des médias accorde aux plateformes de vidéo à la demande par abonnement un délai de première exploitation fixé à 36 mois après la première exploitation en salles. À l’inverse, les plateformes dites de télévision payante de cinéma, qui ont signé un accord avec les organisations de cinéma, telles que Canal+ ou OCS, disposent d’un délai de 8 mois pour la première exploitation, voire même de 6 mois pour les films sortis en salles ayant réalisé moins de 100 000 entrées après 4 semaines d’exploitation. Si leur délai est considérablement réduit, c’est notamment parce qu’elles sont très vertueuses à l’égard du cinéma français. C’est ici qu’on retrouve l’enjeu pour le gouvernement de convaincre Netflix ou encore Disney+ de venir participer à ce financement, avec pour contrepartie un délai de première exploitation réduit. 

Aux États-Unis, l’absence de chronologie des médias fait des ravages aux salles obscures, en témoigne la décision du géant Disney de sortir directement ses derniers blockbusters, Mulan et Soul, sur sa plateforme Disney+.  Cela s’est également produit en France, en décembre 2020. Toujours aux États-Unis, la Warner a suivi le mouvement en décidant de sortir ses dernières productions, simultanément au cinéma et sur sa plateforme HBO Max. Ce fut le cas pour Wonder Woman 1984 sorti en décembre dernier aux États-Unis, et qui par ailleurs est sorti directement dans l’Hexagone sans passer par la case cinéma, en raison de l’incertitude qui plane sur la réouverture des cinémas. Ce nouveau schéma économique est un manque à gagner énorme pour les exploitants de salles de cinémas américaines. Christopher Nolan, réalisateur de Tenet, un des seuls blockbusters à être sorti en pleine pandémie à l’été 2020, ou encore Denis Villeneuve, réalisateur du très attendu remake de Dune, n’ont pas hésité à critiquer ce mode économique.  En mars 2021, la Warner met un terme à sa décision de sortir ses dernières productions sur sa plateforme HBO Max et au cinéma. En effet, le célèbre studio hollywoodien a conclu un accord avec l’entreprise londonienne d’exploitation de salles de cinéma Cineworld, qui possède 536 salles de la franchise américaine Regal, dont la réouverture progressive est attendue, à partir du 2 avril. Ces dernières auront, par ailleurs, l’exclusivité d’exploitation des films pendant 45 jours, avant d’être diffusés sur la plateforme HBO Max. 

Cette stratégie et la situation sanitaire ont amené les professionnels du cinéma français à songer à un éventuel assouplissement de la chronologie des médias. Une ordonnance en date de décembre 2020 a posé un délai de réflexion jusqu’à 6 mois. Toutefois, un décret du 28 janvier 2021 a imposé une prise de décision avant le 31 mars 2021, sous peine d’une prise de décision unilatérale du gouvernement. 

II. Une nouvelle chronologie des médias en réflexion 

Les professionnels du cinéma demeurent inquiets qu’un prochain décret soit trop favorable à Netflix et aux autres plateformes de SVoD. Certains d’entre eux, Jacques Audiard, Agnès Jaoui ou encore Cédric Klapisch,  l’ont fait savoir dans une tribune publiée le 10 mars dernier, dans Le Monde, intitulée « Modification des obligations des plates-formes de streaming : « Nous, cinéastes, ne signerons pas un accord qui risquerait d’anéantir le financement des films ». Selon eux, la chronologie des médias a créé un système de financement sain du cinéma français par les diffuseurs. En effet, Canal+ a investi 104 millions d’euros en 2019 contre 18 millions d’euros pour Netflix. Les professionnels du cinéma craignent donc que les acteurs du marché actuel ne s’alignent pas sur les plateformes de vidéo par abonnement. Pour eux, la liberté de création et le soutien aux jeunes auteurs doivent être maintenus. Ils le soulignent en écrivant « s’il y a un avenir que nous embrassons, ce n’est pas celui du démantèlement ». Ils ont déjà prévenu qu’ils ne signeraient pas les nouveaux accords interprofessionnels et demandent aux plateformes de s’adapter à la chronologie des médias afin de « (…) de respecter [le] droit d’auteur français et sa juste rémunération liée à la diffusion des œuvres (…) ». 

III. Une mesure d’urgence temporaire adoptée par le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC)

En attendant un accord des professionnels du cinéma, le CNC a adopté, en conseil d’administration, une mesure d’urgence, le 31 mars 2021, concernant l’exploitation des films qui ne sont pas encore sortis dans les salles de cinéma. Cette mesure exceptionnelle, prise à titre temporaire, est la conséquence de la fermeture des salles obscures et de l’engorgement des futures programmations à la réouverture de celles-ci. En effet, pour Dominique Boutonnat, président du CNC, « Il serait préjudiciable à la fois pour le public et pour nos créateurs qu’en raison d’un trop grand nombre de films disponibles, les grosses productions notamment américaines privent d’exposition les œuvres plus diversifiées. Il est fondamental que chaque œuvre puisse rencontrer son public ». 

Le conseil d’administration a donc voté la mesure exceptionnelle qui permettra, temporairement, après un examen in concreto de chaque demande, en accord avec les professionnels, de permettre à un film privé des salles obscures de faire l’objet d’une première exploitation en dehors du réseau traditionnel.  Ainsi, cette dérogation ne concerne pas seulement une sortie sur les plateformes VoD mais l’ensemble des modes de diffusion dont les plateformes SVoD.  Il a toutefois été souligné que cette mesure exceptionnelle ne remettait pas en cause ni la chronologie des médias ni son évolution prochaine. 

IV. La proposition commune de nouvel accord pour la chronologie des médias 

Les organisations professionnelles du cinéma, rassemblées au sein du Bureau de Liaison des Industries Cinématographique (BLIC) du Bureau de Liaison des Organisations du Cinéma (BLOC) et de la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (L’ARP), représentant l’ensemble des opérateurs de la filière (auteurs, producteurs, industries techniques, éditeurs-distributeur de films, exploitants et éditeurs vidéo), ont révélé par le biais d’un communiqué, en date du 6 avril 2021, être parvenus à une proposition commune pour l’adoption d’un nouvel accord sur la chronologie des médias.

La proposition appelée « scénario BBA » est une base pour les futures discussions, menées sous la direction du CNC, soit pour parvenir à un accord interprofessionnel, soit pour un arbitrage temporaire par le gouvernement. L’objectif principal est de simplifier la chronologie actuelle pour parvenir à une première diffusion audiovisuelle à 6 mois après une exploitation en salle, en privilégiant les diffuseurs signataires d’un accord vertueux interprofessionnel avec le cinéma. 

L’accord interprofessionnel propose 7 engagements qui devront être respectés, a minima, par les diffuseurs : 

  • Un investissement sous forme (par ordre de priorité) d’un taux minimum d’obligation cinéma et/ou d’un minimum garanti par abonné et/ou d’un montant en valeur absolue ; 
  • Une transparence des données (sur le chiffre d’affaires et sur le nombre d’abonnés) incluant un bilan d’étape ;
  • Le respect du droit moral des auteurs et du principe d’une rémunération vertueuse basée sur la solidarité et la mutualisation ;
  • Une prévision d’un ratio d’achats et de pré-achats, ainsi que de films, d’oeuvres d’expression originale française et européens ;
  • L’inclusion d’une clause de diversité et clause de volume, pour les achats et les pré-achats ;
  • Une limitation, au sein des achats d’œuvres de catalogue, de la part d’auto-alimentation des diffuseurs (c’est-à-dire de la part d’achats effectués au sein de leur propre catalogue ou de celui de leurs filiales) ;
  • Une éditorialisation de l’offre.

La signature de l’accord définitif doit intervenir au plus tard pour le début du mois de juillet. 

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