Si le CV classique permet l’identification d’un demandeur à l’emploi notamment par le biais de son âge, son sexe, sa nationalité, celui-ci peut conduire à des situations de discriminations à l’embauche. Dans un objectif d’égalité des chances, le CV anonyme permettrait-il quant à lui de lutter contre ces situations ? Quid des impacts et de la pertinence de ce dernier ? Peut-on envisager une instauration obligatoire et généralisée d’une telle mesure ?
Le CV anonyme : un objectif de lutte contre les discriminations à l’embauche
Le CV anonyme n’a que partiellement été mis en place de sorte qu’il ne peut s’apparenter en un réel succès. Ce dispositif n’est toutefois pas dépourvu de sens dans la mesure où il s’inscrit dans un objectif de lutte contre les discriminations à l’embauche. Depuis toujours, des discriminations de toutes sortes peuvent exister et notamment en droit du travail. De la phase d’embauche à la phase de rupture du contrat de travail, un individu peut se retrouver illégitimement évincé du marché du travail pour des raisons discriminatoires liées à son état de santé par exemple ou encore à ses convictions religieuses.
On comprend alors que la mise en place obligatoire d’un CV anonyme aurait pu réduire les possibles discriminations à l’embauche. Celui-ci ayant pour but d’apporter une transparence totale quant à l’identité d’un demandeur d’emploi notamment concernant son nom, son sexe, sa nationalité et autres. L’employeur serait alors contraint d’appuyer sa décision uniquement sur des éléments objectifs.
C’est pourquoi, par une loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, le législateur français a tenté d’instaurer un recours obligatoire au CV anonyme pour les entreprises de plus de 50 salariés complétant l’article L. 121-6 du code du travail par l’article L. 121-6-1, abrogé depuis. Un décret d’application devait par la suite préciser les sanctions et les modalités attachées à ce dispositif. Faute de décret d’application, le CV anonyme est resté lettre morte et tente de prospérer au travers de diverses expérimentations.
Un dispositif louable mais insuffisant pour établir une réelle égalité des chances
Neutralisant les éléments liés à l’état civil du candidat, le CV anonyme a d’abord émergé aux États-Unis dans les années 60 dans un contexte de lutte contre les discriminations raciales. Si l’article L. 1132-1 du Code du travail pose l’interdiction de la discrimination à l’embauche, 16 % des européens, en 2009, déclaraient avoir été victimes d’une telle discrimination selon la Commission européenne. Pour parvenir à une égalité de traitement des candidatures, diverses expériences sur le CV anonyme ont été mises en place dans certains pays européens. Alors que ses avantages apparaissent clairs, entre la promotion par les compétences et la volonté d’établir une réelle égalité des chances, qu’en est-il réellement ?
Si la Belgique est un des seuls pays européens à avoir rendu obligatoire le CV anonyme, uniquement pour le service public et que le test quant à son application est une réussite en Allemagne, notamment par la réduction de manière significative de la discrimination dite ethnique sur les populations turques, le bilan reste mitigé en France.
A cet égard, une étude menée par des chercheurs du centre de recherche en économie et statistiques (CREST), de J-PAL et de l’École d’économie de Paris a évalué l’impact du CV anonyme expérimenté entre 2009 et novembre 2010 par Pôle emploi dans huit départements. S’il en ressort que ce dernier permet notamment de diminuer la tendance des recruteurs à privilégier leur semblable et de réduire les discriminations de genre, les femmes disposant de 4.5 fois plus de chances d’obtenir un entretien avec un recruteur masculin, cette étude révèle également la pénalisation des candidats issus de l’immigration et/ou résidant dans une zone urbaine sensible (ZUS), le taux d’entretien d’embauche devenant alors plus défavorable à ces candidats que lorsque cette mesure n’est pas instaurée.
De plus, la pratique du CV anonyme démontre que si une baisse des discriminations à l’embauche est effective, elle ne concerne principalement que cette seule période d’analyse des CV et n’influe pas sur la discrimination, a postériori, lors de l’entretien, ce dernier constituant un second rempart à la prise effective du poste et empêchant certains candidats de passer au-delà de ce rendez-vous. En outre, si la discrimination se déplace et n’est pas stoppée, le CV anonyme peut également être un frein à la discrimination dite « positive » consistant à privilégier volontairement des personnes issues de minorités ayant généralement moins accès à l’emploi.
Quant à sa mise en place effective, plusieurs interrogations se posent, en quoi consisterait le contrôle d’une telle mesure ? Et quid de la volonté des salariés de respecter un tel dispositif ?
En effet, le CV anonyme, même louable, fait fi des informations personnelles des candidats souhaitant être embauchés compte tenu de celles-ci. Une telle impasse implique de facto une censure personnelle du candidat sur son identité propre.
Bien qu’il montre des limites, le CV anonyme a permis d’ouvrir la voie à une remise en cause des méthodes de sélection. Désormais, plusieurs idées émergent dans la quête d’une égalité à l’embauche via la suppression du CV comme des test professionnels, ou encore par la différenciation reposant sur l’évaluation du candidat en tant que marque unique par le biais de sa personnalité, son savoir être, sa réputation et son identité.Quelle que soit la proposition émanant dans cette lutte pour l’égalité d’accès à l’emploi, cette dernière nécessite en complément une formation des employeurs/recruteurs à cette cause pour être concrètement menée sur le terrain.