21 mois. Presque deux ans. C’est le temps qu’il aura fallu aux femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles pour se faire entendre. Malgré la crise sanitaire, elles n’auront rien lâché. Et c’est ainsi que la grève leur aura permis de faire reconnaitre leurs droits. C’est donc l’occasion de revenir sur les règles élémentaires du droit du travail en matière de grève dans le secteur privé, aussi appelé conflit collectif.
I. Le droit de grève, un droit fondamental
Critiqué, notamment depuis la dernière grève massive des transports en Ile de France fin 2019, le droit de grève demeure pourtant un droit essentiel de notre société, massivement consacré. En effet, il s’agit d’un droit ayant valeur constitutionnelle (article 7 de la Constitution de 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958), ce qui signifie qu’il s’agit d’un des droits ayant une valeur extrêmement importante dans notre société. Cependant, ce droit est considéré comme un droit fondamental à condition qu’il soit exercé dans les conditions posées par la loi et la jurisprudence. A défaut, l’exercice du droit de grève ne serait pas licite, mais illicite.
II. Comment exercer correctement son droit de grève ?
Pour qu’il soit licite, l’exercice du droit de grève doit répondre à trois conditions cumulatives :
1. Il doit s’agir d’un arrêt total du travail
(Cass. Soc., 23 nov. 1978 : D. 1979, Jurisp., p. 304, note J.C. Javillier).
Par conséquence, les phénomènes de grève perlée, consistant à ralentir de manière anormale la cadence de production, ne constituent pas un exercice normal du droit de grève. Il en va de même pour l’exécution volontairement défectueuse du travail. En revanche, les grèves tournantes entre les différentes catégories de personnel sont admises et ne posent donc pas problème.
2. Ce droit doit s’exercer collectivement et non individuellement
(Cass. Soc., 1er juin 1951 : Dr. soc. 1951, p. 130, 2è esp.).
Ainsi, sauf en cas de rattachement à un mouvement national, la cessation de travail d’un seul des salariés de l’entreprise ne constitue pas un exercice normal du droit de grève, ce dernier devant nécessairement, on le rappelle, s’exercer collectivement (Cass. soc., 29 mars 1995, no 93-41.863). En revanche, le fait qu’un mouvement collectif, ne connaisse qu’une participation minoritaire ou ne concerne qu’une partie de l’entreprise ne fait pas échec à l’exercice licite du droit de grève. Seule exception à ce principe : si le salarié est le seul salarié de l’entreprise, il peut exercer seul son droit de grève, échappant à la condition d’un exercice collectif du droit de grève (Cass. Soc., 13 nov. 1996, no 93-42.247).
3. L’exercice d’un tel droit doit être porteur de revendications professionnelles
(Cass. Soc., 23. Oct 2007, n°06-17.802).
Attention donc, le droit de grève n’est pas correctement exercé s’il est uniquement fondé sur des revendications politiques !
Dès lors que ces trois conditions cumulatives sont remplies, le droit de grève est exercé en conformité avec la loi, et ne peut être reproché au salarié. A défaut, le mouvement peut être considéré comme abusif et illicite, pouvant exposer les salariés à des sanctions disciplinaires.
Attention cependant : les grévistes ne peuvent empêcher les non-grévistes de travailler : tout blocage de l’entrée de l’entreprise est donc interdit si l’on veut exercer licitement son droit de grève. Il en va évidemment de même, pour les personnes enchaînées à l’entrée de l’entreprise par exemple…
III. A quoi bon exercer correctement son droit de grève ?
Se plier aux conformités qu’impose l’exercice licite du droit de grève n’est pas sans but. En effet, lorsque l’exercice du droit de grève est licite, cet exercice conforme aux exigences sur la grève protège le salarié de toute sanctions du fait de son statut de gréviste.
Ainsi, aucun salarié ne pourra être sanctionné ni être discriminé sur aucun point pour avoir exercé son droit de grève. De même, un salarié ne peut être licencié au motif de l’exercice de son droit de grève.
A une exception près cependant ! En effet, si le salarié gréviste commet une faute lourde, du type participation personnelle et active à des actes illégaux, il s’expose à des sanctions. Par exemple, la grève n’est pas une excuse pour séquestrer, kidnapper ou tabasser son patron. Désolée…
En revanche, du fait de la non-exécution de la prestation de travail par le salarié et sur le fondement de l’exception d’inexécution issue du droit des contrats, le salarié gréviste n’est pas payé. Cependant, l’employeur ne doit pas mention sur le bulletin de paie du gréviste qu’il y a eu exercice du droit de grève.
En conclusion, la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles correspondait bien à un exercice licite du droit de grèves : plusieurs femmes (mouvement collectif) avaient complètement arrêté de travailler (arrêt total du travail) pour obtenir de meilleures conditions de travail (revendications professionnelles). C’est en conséquence de quoi elles n’auront pas été payées pendant de longs mois. Mais pourtant, victoire pour ces femmes. Elles ont obtenu une augmentation de leur salaire et une amélioration de leurs conditions de travail. L’exercice victorieux du droit de grève existe donc toujours en France, n’en déplaise à ceux qui estime qu’en France, dans le secteur privé, il y a plus d’auteurs sur le thème de la grève, que de réels grévistes.