Genèse de la « Super League » : le football professionnel au fond du trou ?

24 avril 2021

Genèse de la "Super League" : le football professionnel au fond du trou ?

Le football professionnel a-t-il ouvert la boîte de Pandore ce dimanche 18 avril 2021 ? Un communiqué de presse signé par 12 des plus puissants clubs européens a entraîné un véritable tremblement de terre sur la planète football. Un déferlement médiatique international s’en est suivi suite à l’annonce de la création et la mise en place d’un championnat européen extrêmement controversé : la Super League, venue concurrencer la Ligue des Champions tant appréciée. 

Oui mais voilà, malgré l’aspect concurrentiel extrêmement attractif pour les grands clubs sélectionnés, les autres acteurs du football ont exprimé un refus catégorique au sujet de cette « ligue fermée ». 

I – Un pied de nez au football européen 

Alors que l’UEFA a pour projet de modifier le format de l’actuelle C1 (dont la réforme devait être annoncée le 19 avril 2021), les mastodontes du football européen ont invoqué, de manière officieuse, leur accord dans la création de la ligue fermée de Super League. Une annonce qui n’est pas au goût de tous : l’UEFA, des présidents de clubs, des entraîneurs, des joueurs, et surtout les supporters et amoureux du ballon rond ont levé leur voix pour dire non à la Super League

Au regard du droit européen de la concurrence, et d’un point de vue purement juridique, une telle exégèse d’une ligue de ce type reste permise. La critique de la part de la FIFA et de ses organes continentaux semble, quant à elle, contraire à cette législation puisqu’il s’agit concrètement d’empêcher les entreprises (les clubs) à s’unir pour mettre un nouveau produit sur un marché, puis l’exploiter. Rappelons que la Commission européenne a déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce principe concurrentiel lorsque la Fédération Internationale de Patinage a interdit aux patineurs de participer à des compétitions non estampillées par elle-même (8 décembre 2017). 

La principale critique réalisée par les acteurs du football porte sur la déchéance des droits sportifs pour pouvoir accéder aux compétitions européennes que sont la Ligue des Champions ou l’Europa League, prenant en compte les performances des équipes au sein des championnats nationaux. En effet, la Super League se distingue par un format de type « fermé », à l’instar des championnats d’outre-Atlantique que sont la NBA, la NFL ou encore la MLS pour cette discipline. La Super League reposerait alors sur des investissements sur le long terme car la place n’est plus à l’aléa sportif. 

Dans le foot comme dans le monde en général, l’un des plus gros problèmes ce sont les inégalités. Les inégalités des chances face aux opportunités. Il n’est pas étonnant qu’un groupe de clubs puissants économiquement ait cherché à se réunir et à priver les petits clubs d’une compétition. C’est dans l’esprit du monde actuel. Il faut faire en sorte que ce projet n’aboutisse pas. ” – Jorge Sampaoli, entraîneur de l’Olympique de Marseille 

II – La Super League : une poule aux œufs d’or ? 

Comme indiqué plus haut, le fait de constituer une ligue fermée permet d’accroître des revenus conséquents tout en palliant le risque qu’apporte l’aléa sportif. En effet, investir à long terme sur des équipes dont la participation européenne est actée et inamovible est beaucoup plus certain qu’une spéculation sur des équipes dont la participation n’est pas assurée. 

L’enjeu lié aux investissements au sein d’une ligue fermée (c’est-à-dire un championnat ne connaissant aucune relégation ni accession) ajouterait aux acteurs financiers une garantie à long terme sur l’ensemble des clubs participants qui ne pourrait, en principe, être éliminé de la compétition. Il s’agirait donc d’un investissement sans risque à long (voire à très long) terme. Pour illustrer ce propos, un club de football échappant à une qualification européenne correspond à une perte de plusieurs millions d’euros pour ses investisseurs. 

Le média britannique Sky Sports a annoncé qu’une enveloppe d’approximativement 5,1 milliards d’euros sera répartie entre les participants de la Super League contre environ 2 milliards d’euros à répartir entre les 32 équipes participantes de la C1. Le choix est rapidement fait. 

En matière de financement, la banque d’investissement JP Morgan Chase a confirmé qu’elle allait, du moins partiellement, participer à l’opération à hauteur d’approximativement 6 milliards de dollars. Reste à connaître les sommes apportées en garantie par les clubs fondateurs, d’autant plus que la crise sanitaire mondiale a entraîné un manque à gagner considérable durant les compétitions. 

Enfin, un autre sujet méritant d’être abordé est celui des droits audiovisuels. Si le football français a connu le plus gros scandale audiovisuel à la suite de l’affaire Mediapro, la question des droits TV pour la Super League promettait de faire couler beaucoup d’encre… et de billets verts. Si la Super League a la volonté de suppléer la compétition de l’UEFA, il est fort à parier que la distribution des droits pour la diffusion de sa ligue aurait été conséquente, avec, comme effet indirect, un reversement également important pour les clubs participants.)

Un choc des civilisations au cœur de cette fronde : mentalité européenne vs mentalité américaine ? 

Cette fronde trouve sa source dans l’essence même de la mentalité européenne sportive. En effet, l’européen est profondément attaché au principe de méritocratie dans le sport. Ce n’est pas Olivier Létang, président du Losc, qui nous contredira : “On est dans une posture qui est contraire aux règles du sport, à notre culture européenne. (…) Pourquoi le football est-il un sport planétaire ? Parce que tout le monde peut y jouer et parce que cest le sport qui a la plus grande part dincertitude. Cette incertitude du football fait partie de notre culture. Vouloir l’éliminer, je ne trouve pas ça bien, ceux qui performent sur le terrain doivent en avoir le bénéfice. La méritocratie est lessence du sport.

À l’inverse, le système de ligue fermée a facilement trouvé sa place outre-Atlantique car l’aspect lucratif et la recherche de rentabilité sont ancrés dans l’ADN des États-Unis. Les championnats fermés, tels que la MLS ou la NBA, offrent un nombre de place limité pour les clubs, sous la forme de franchise, et les mettent en vente sur un marché : la force économique prime, le plus offrant remporte ainsi son ticket d’or. Les ligues sportives ont ainsi imposé des réglementations particulières, tels que la draft, les salary-cap et luxury-cap notamment en NBA pour renforcer l’attractivité de leur championnat, alliant ainsi incertitude dans les résultats sportifs (rares sont les franchises qui remportent le championnat chaque année) et rentabilité maximale pour les franchises. 

C’est dans cet état d’esprit que nos “Dirty Dozen” européens ont souhaité instaurer ce modèle en Europe. Bien que sa mise en place soit possible juridiquement, le timing n’était pas au beau fixe, notamment à l’approche des demi-finales de C1 et de l’Euro…  

III – Plus de peur que de mal avec la Super League

Quelques jours après le communiqué tonitruant annonçant la création de cette nouvelle compétition, la bâteau semble déjà couler. En effet, Chelsea FC a mené la danse en se retirant ce mardi 20 avril au soir, suivi par l’ensemble des clubs anglais impliqués dans la nuit de mardi à mercredi. Ils ont ensuite été rejoints par l’Atletico Madrid et l’Inter Milan. 

La Super League tire-t-elle (déjà) sa révérence ? Rien n’est moins sûr, les créateurs ont réagi à ces désistements et précisent qu’ils vont “reconsidérer les étapes les plus appropriées pour remodeler le projet”. 

Toutefois, une question reste en suspens : l’UEFA pouvait-elle véritablement exclure les clubs participants à la Super League des championnats nationaux ? 

Bien que nouvelle dans la sphère footballistique, cette situation n’est pas nouvelle dans le monde du basket (FIBA vs Euroleague). Or, malgré une concurrence entre les compétitions européennes organisées par les fédérations et celles organisées par une société et plusieurs plaintes déposées auprès de la Commission européenne, cette dernière ne s’est jamais vraiment positionnée et a préféré trouver un compromis afin de faire coexister les compétitions européennes et les championnats nationaux. Autrement dit, les menaces d’exclusions des championnats nationaux n’ont jamais abouti et les clubs inscrits ont pu continuer de jouer à la fois en championnat et en Euroleague. 

Il y aurait fort à parier qu’une solution similaire soit retenue avec la Super League. Cependant, nos propos méritent d’être tempérés puisque le côté populaire et les vives réactions peuvent peser dans la balance, contraignant ainsi la Commission à prendre davantage parti dans un tel conflit. 

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