Peut on encore retenir le critère de gratuité dans le contrat de prêt à usage quand celui ci est conclu dans le but d’un avantage économique ?
Alain VIANDIER, la complaisance, JCP 1980 : « la plus grande incertitude règne sur le tracé de la frontière entre l’acte de pure complaisance et le contrat. Les transitions sont subtiles et les variations multiples entre l’engagement de courtoisie et l’obligation civile.»
Cette incertitude entre acte pure de complaisance et le contrat règne aujourd’hui sur le contrat de prêt à usage, notamment en ce qui concerne le prêt à usage dans les relations d’affaires.
Origine du prêt à usage
Anciennement appelé commodat depuis Rome et le terme supprimé par la loi 2009-526 du 12 mai 2009 le prêt à usage est aujourd’hui régi par l’article 1875 du Code civil en vigueur depuis le 14 mai 2009.
L’article précité précise ainsi que “le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une chose pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi».
Le prêt à usage est donc un contrat qui repose à la base sur une simple relation de confiance. Par cette confiance « le contrat de prêt essentiellement gratuit» c’est ce que dispose l’article 1876 du Code civil.
Une notion de gratuité qui tend à s’estomper
Cependant forcer de constater que la gratuité a évolué, notamment dans les « relations d’affaires » ; aujourd’hui le prêt serait donc « un contrat d’intérêt commun ».
En effet ce caractère de gratuité serai remis en cause et il ne serait peut-être plus le critère de distinction des autres contrats, voire de qualification. Par ailleurs, des auteurs viennent à dire qu’il n’est plus possible de retenir le terme de « commodat » dans les relations d’affaires.
La jurisprudence s’est déjà prononcée notamment dans un arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation le 9 mai 1966. Les juges du Quai de l’horloge viennent y refuser la qualification de prêt à usage en énonçant que « le contrat intervenu, s’il revêt les apparences d’un commodat, n’est pas cependant un contrat de pure bienfaisance puisque le prêteur et le commodataire trouvaient l’un et l’autre éventuellement un avantage à l’utilisation du véhicule aux fins communes ».
Vers une possibilité du maintien de la qualification de contrat de prêt à usage à la lumière de l’avant projet de réforme du droit des contrats spéciaux
Aujourd’hui, le Code civil ne comporte pas de dispositions propres au contrat de prêt à usage, ce qui expliquerait donc une qualification du contrat de prêt à usage plus stricte par la jurisprudence. C’est pourquoi la Commission de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux de l’association René Capitant, ouvert en juillet 2022 et clôturée le 18 novembre 2022, prévoit une modification du chapitre consacré à celui ci en modifiant 5 articles de ce Code, ces articles étant : 1876, 1877, 1877-2, 1879-2 et 1886-3.
Les rédacteurs de cet avant-projet viendraient alors aiguiller sur cette notion de gratuité et viendraient aussi poser cette distinction entre le prêt intéressé et le prêt désintéressé. En s’intéressant seulement à l‘article 1876 de l’avant projet du droit des contrats spéciaux, une distinction s’opère directement et permet de retenir, quand même, la qualification de prêt.
Celui-ci dispose que « Ce prêt peut être intéressé ou désintéressé. Le prêt est intéressé lorsque le prêteur agit, au su de l’emprunteur, en vue de l’obtention d’un avantage économique. Le prêt fait par le prêteur dans le cadre de son activité professionnelle est présumé intéressé. »
On voit ici que l’avant projet maintient la qualification de prêt même dans les relations présumées “d’affaires”, celles où les auteurs estiment qu’il n’est pas possible de retenir la qualification de prêt du fait de cet avantage procuré sur le propriétaire.
Ainsi, l’avant-projet viendrait alors mettre un terme au refus de qualification du prêt dès lors que celui-ci serait conclu en vue d’un avantage économique, ce qui permet de ne pas disqualifier le contrat.