Le travail du sexe est aujourd’hui encore sujet à controverse. Considérations sociales, économiques, sanitaires et idéologiques s’entremêlent, alimentant un débat complexe et sensible. La prostitution doit-elle faire l’objet d’une réglementation ? Le cas échéant, de quelle réglementation parle-t-on ? Quelle approche est à privilégier (réglementarisme, abolitionnisme…) ? Autant de questions et bien plus encore que soulève le travail du sexe. L’objectif de cet article n’est pas d’exposer une opinion tranchée sur le sujet mais de mettre en exergue l’incohérence du système juridique français en ce qui concerne la prostitution notamment en matière de droit social (Les termes « travail du sexe » et « prostitution » seront utilisés simultanément afin d’éviter la stigmatisation des personnes pratiquant cette activité).
I. L’abolitionnisme, l’objectif français en matière de prostitution
Définie par la Cour de cassation comme étant l’acte qui « consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui », la prostitution n’est à proprement parler pas interdite en France. En effet, aucun article de loi ne condamne une telle activité. En revanche, l’achat de services sexuels est interdit par le Code pénal dans son article 611-1. On parle alors de pénalisation des clients. De plus, bien que le délit de racolage ait été supprimé, les travailleurs et travailleuses du sexe (abrégé en TDS dans la suite de cet article) s’exposent au risque d’être déclarés coupables du délit d’exhibition sexuelle prévu à l’article 222-32 du code précité. Enfin, le proxénétisme est lui aussi réprimé (article 225-5 et suivants du Code pénal), qu’il se matérialise par l’exploitation de la personne qui se prostitue sous la contrainte ou par une aide ou assistance apportée à cette dernière. C’est ainsi que les partenaires de TDS peuvent être déclarés coupables de proxénétisme alors qu’aucune contrainte à se prostituer n’est exercée. Ces dispositions légales constituent autant d’entraves à l’exercice du travail du sexe et illustrent la volonté abolitionniste de la France. Ce ne fut pas toujours le cas, mais depuis la loi n°2016-444 du 13 avril 2016, l’objectif est clair : l’état français souhaite renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et accompagner les personnes prostituées, considérées comme victimes de leur situation. Le bilan de cette loi est mitigé. En effet, de nombreuses associations dont Médecins du Monde affirment que la qualité de vie des TDS s’est détériorée depuis l’adoption d’une telle loi. Outre les effets négatifs sur la santé et la qualité de vie des TDS, le régime juridique actuel connait de nombreuses failles dans son approche au droit du travail.
II. Droit du travail et prostitution : la France face à ses contradictions
Trivialement parfois qualifiée du « plus vieux métier du monde », la prostitution n’est donc pas interdite mais son exercice est rendu difficile voire impossible. Pourtant, l’Etat français soumet la prostitution au droit commun en matière de droit fiscal et de droit social. En effet, les revenus issus du travail du sexe sont imposables, comme tout revenu, indépendamment de la reconnaissance de l’activité. Cela n’a donc rien de surprenant. En matière de droit social, l’approche française est incohérente. Dans un arrêt du 18 mai 1995, la Chambre sociale de la Cour de cassation a estimé, conformément à sa jurisprudence en matière de professions non reconnues, que les revenus tirés de la prostitution doivent être assujettis aux cotisations familiales car ces dernières sont dues par toute personne exerçant une activité non salariée, même à titre accessoire. Les TDS doivent donc payer des impôts et être affiliés à l’URSSAF sous peine d’être condamnés pour « travail dissimulé » bien que la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Egalité des chances, Elisabeth Moreno refuse de qualifier la prostitution de travail. Cette ambivalence conduit certains TDS, notamment les membres du STRASS, à accuser l’état français de se comporter comme un proxénète en profitant des revenus issus de la prostitution. Enfin, il convient de souligner les faiblesses de l’Etat concernant l’accompagnement social des TDS dans leur réorientation professionnelle. En effet, le nombre de personnes profitant de ce « parcours de sortie » prévu par la loi reste dérisoire. Nous ne pouvons qu’espérer une implication plus importante des pouvoirs publics en matière de prostitution afin de protéger au mieux les TDS.