Le développement récent des entreprises privées de voyages spatiaux commerciaux, telles que SpaceX, Blue Origin et Virgin Galactic, a soulevé d’importantes questions juridiques quant à l’articulation de leurs activités avec le droit de l’espace.
Qu’entend-on par droit de l’espace ?
Le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, également connu sous le nom de Traité de l’espace, est l’un des principaux traités internationaux régissant les activités spatiales des États. Il a été adopté le 19 décembre 1966 par la Résolution n°2222 de l’Assemblée générale des Nations Unies, signé le 27 janvier 1967, et entré en vigueur le 10 octobre 1967.
Ce Traité énonce plusieurs principes fondamentaux, notamment le principe de la libre exploration de l’espace, le principe de non-souveraineté nationale sur l’espace, le principe de l’utilisation pacifique de l’espace et le principe de la responsabilité de l’État pour les activités spatiales menées par ses citoyens ou entités.
En outre, d’autres accords internationaux régissent également les activités spatiales, telles que la Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux de 1972 et la Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique de 1974.
Les composantes du droit de l’espace appartiennent donc essentiellement au droit international.
Cependant, la réglementation des activités spatiales des entreprises privées ne dépasse pratiquement pas le cadre national. En effet, elle n’est que partiellement évoquée au niveau international, notamment dans l’article VI du Traité de l’Espace, établissant le principe de la responsabilité de l’État pour les activités spatiales menées par ses citoyens ou entités.
Ainsi, en France, par exemple, les activités spatiales des entreprises privées sont essentiellement encadrées par la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008.
Aux États-Unis, le Commercial Space Launch Act of 1984 établit les autorités et les procédures pour l’octroi de licences et de permis pour les activités spatiales commerciales, le Code of Federal Regulations énonce des exigences spécifiques en matière de sécurité et de conformité pour les activités spatiales commerciales, telles que le lancement de satellites et le transport de cargaison dans l’espace, et le Space Act of 2015 établit un cadre juridique pour l’exploration et l’utilisation des ressources spatiales par des entités privées.
Les points de conflit entre droit de l’espace et activité des entreprises privées
L’article VI du Traité de l’Espace stipule que « Les États parties au Traité ont la responsabilité internationale des activités nationales dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, qu’elles soient entreprises par des organismes gouvernementaux ou par des entités non gouvernementales ».
Ainsi, SpaceX par exemple, en tant qu’entreprise privée américaine, constitue une entité non-gouvernementale qui mène des activités dans l’espace extra-atmosphérique. En vertu de l’article précité, l’État américain est donc responsable des activités spatiales qu’elles mènent. Il doit encadrer ces activités et veiller à leur conformité avec les principes du Traité.
Cependant, certains experts en droit spatial s’inquiètent de la capacité de l’État américain à assurer la conformité des activités de SpaceX avec les dispositions du Traité de l’espace, particulièrement en ce qui concerne la question de la non-prolifération des armes dans l’espace, et de la protection de l’environnement spatial.
Cette inquiétude découle particulièrement du fait que SpaceX a manifesté plusieurs fois son intention de mettre en place une constellation de satellites Starlink en orbite basse, dans le but de fournir un accès internet haut débit à des utilisateurs du monde entier. En effet, de nombreux experts, tels que James E. David, l’ancien directeur adjoint du Bureau des affaires spatiales du département de la Défense des États-Unis, et Victoria Samson, experte en politique spatiale et directrice du Secure World Foundation, affirment que ces satellites seraient susceptible d’avoir des capacités militaires, comme la possibilité de brouiller les signaux de communication ou de surveiller des cibles au sol. Cette situation soulève donc des préoccupations quant à la conformité de l’entreprise aux obligations de non-prolifération des armes dans l’espace, consacrées dans l’article IV du Traité.
De plus, les activités menées par SpaceX suscitent également de nombreuses craintes quant à l’impact de ses activités sur la protection de l’environnement spatial. À ce titre, en 2018, Rolf Densing, directeur de la mission de l’Agence spatiale européenne, avait critiqué SpaceX pour avoir laissé des débris sur une orbite utilisée par les satellites de l’Agence, mettant en danger la sécurité de ses opérations spatiales.
Enfin, la question de l’encombrement de l’espace causé par la mise en place des satellites Starlink, et bien évidemment de l’impact environnemental de l’hydrazine composant le carburant utilisé par SpaceX sont aussi d’actualités.
Parallèlement, c’est même certaines normes nationales qui semblent s’éloigner des principes fondamentaux posés initialement par le Traité de l’espace. Par exemple, le Space Act of 2015 permet aux entreprises privées américaines de posséder et d’utiliser les ressources spatiales qu’elles ont extraites, ce qui a particulièrement suscité des préoccupations quant à la compatibilité de cette disposition avec le principe de non-appropriation de l’espace extra-atmosphérique, posé par l’article II du Traité de l’espace.
La nécessaire fixation d’un cadre international
Conséquemment à ces problématiques, Sa’id Mosteshar, directeur de l’Institut de droit de l’espace et des télécommunications à l’Université de Londres, déclarait dans une interview avec CNBC que la question de la réglementation de l’activité spatiale privée est « un sujet complexe qui nécessite une coopération internationale et une révision des traités internationaux existants ».
D’autres chercheurs affirment également que les traités internationaux relatifs aux activités spatiales, adoptés il y a près de 50 ans, sont le reflet d’une autre époque, et ne prennent pas suffisamment en considération les défis actuels posés par le développement des entreprises privées proposant des voyages spatiaux commerciaux.
Enfin, Kai-Uwe Schrogl, directeur du département des affaires spatiales de l’Agence spatiale européenne, a plaidé, lors d’une conférence organisé par l’OCDE, en faveur d’une réglementation internationale plus cohérente et transparente des activités spatiales, tout en reconnaissant l’importance de conserver un aspect national dans cette législation afin de favoriser l’innovation et la concurrence des entreprises privées.
En conclusion, à l’heure où un consensus international a été trouvé pour le Traité international de protection de la haute mer le 4 mars dernier, il convient dorénavant de s’attarder sur la recherche d’un équilibre entre droit national et droit international pour une autre zone relativement méconnue de l’homme : l’espace. En effet, bien que ces deux zones soient radicalement différentes d’un point de vue scientifique, les enjeux actuels y afférents ne seraient-ils finalement pas sensiblement les mêmes ? À savoir la recherche, l’exploitation commerciale, et l’impact environnemental de telles activités.
N’est-il pas venu le temps pour le droit international de prévenir et d’anticiper les graves atteintes à l’environnement et potentiellement à la paix mondiale, plutôt que de tenter de les colmater des décennies plus tard ?