Le Tribunal judiciaire de Paris le 27 mars 2024 a reconnu à l’artiste Zevs la possibilité de revendiquer la qualité d’auteur sur une œuvre utilisant la technique du « dripping ». Malgré une absence de contrefaçon, l’auteur a néanmoins pu obtenir la condamnation de la maison Givenchy au paiement d’une somme de 30 000 euros pour concurrence déloyale et parasitisme.
Utilisation du procédé pictural du « dripping »
L’artiste Zevs, figure emblématique du street art, est un reconnu dans le milieu urbain pour ses séries d’œuvres utilisant la technique du dripping. Ce procédé consiste à laisser couler ou goutter de la peinture sur des toiles ou des surfaces horizontales. Ses œuvres transforment notamment les logos de la société de consommation, spécialement ceux de grandes marques, pour leur donner une apparence de liquéfaction totale. Il va ainsi créer l’œuvre « Liquidated Google », en faisant dégouliner les lettres du logo de la marque Google.
Le litige porte sur la commercialisation par la société Givenchy d’un tee-shirt arborant la marque « Givenchy » en lettres dégoulinantes. L’artiste fait grief à la société d’avoir réutilisé les caractéristiques originales de son œuvre « Liquidated Google ».
L’artiste assigne donc la société Givenchy en contrefaçon de ses droits d’auteur et également à titre subsidiaire en concurrence déloyale et parasitisme.
La reconnaissance de l’originalité de l’œuvre utilisant la technique du « dripping »
Le droit de la propriété intellectuelle garantit les œuvres artistiques contre toute forme de contrefaçon. La contrefaçon se définit notamment comme la reproduction, l’utilisation ou l’imitation d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation préalable de son titulaire.
Il est tout d’abord important de rappeler qu’une création ne peut bénéficier de la protection du droit d’auteur que si elle est originale, c’est-à-dire qu’elle reflète l’empreinte de la personnalité de l’auteur. L’artiste vient préciser que c’est bien la réalisation visuelle particulière de son œuvre qu’il entend revendiquer et non la technique picturale du dripping.
Selon Givenchy, le fait pour une coulure de dégouliner serait un processus naturel et inappropriable faisant obstacle à de la protection par le droit d’auteur de l’œuvre utilisant la technique du dripping.
Néanmoins, l’artiste réussit à démontrer l’originalité de son œuvre utilisant la technique du dripping. Il démontre l’existence de choix esthétiques libres, arbitraires et de ses efforts créatifs immortalisés dans son oeuvre : coulures découlant de chaque lettre glissant dans le sens de la gravité, coulures irrégulières et de longueurs différentes reprenant les couleurs de chaque lettre. Il réussit ainsi à créer “ l’illusion que ce signe est en train de fondre, de saigner”, “comme pour le vider de son sens ou de son pouvoir”.
L’œuvre est ainsi originale et Zevs est titulaire des droits d’auteur s’y attachant
Retenant l’originalité de l’œuvre de Zevs, le tribunal rejette néanmoins en l’espèce le grief tiré de la contrefaçon de l’œuvre par le tee-shirt commercialisé par Givenchy. En effet, le terme utilisé « Givenchy » n’est pas le même. De plus, les caractéristiques originales de l’œuvre n’ont pas été reproduites par Givenchy, les couleurs et le logotype utilisé étant différents.
Une condamnation subsidiaire pour parasitisme et concurrence déloyale.
A contrario, le tribunal retient que les t-shirts s’inspirent incontestablement de l’œuvre de « Liquidated Google » de Zevs. Le Tribunal affirme que la commercialisation des tee-shirts crée une confusion dans l’esprit du consommateur de produit de marque de luxe, notamment en ce qui concerne l’origine du produit, suggérant qu’il pourrait s’agir d’un produit de luxe. Cette confusion est renforcée par le fait que les marques de luxe collaborent régulièrement à des artistes pour leurs créations, renforçant le lien entre art et mode.
Le parasitisme en droit consiste pour un opérateur économique à tirer profit du savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements d’un autre opérateur économique, en se plaçant dans son sillage. Or, dans cette affaire, la société Givenchy a représenté sa marque verbale avec des broderies de couleurs identiques à celles des lettres du logo Google, créant ainsi un effet de coulures similaire à celui de l’œuvre de Zevs. Bien que les caractéristiques originales de « Liquidated » Google n’aient pas été reproduites, le Tribunal a estimé qu’il y avait parasitisme, en raison de l’inspiration manifeste issue des créations de l’artiste.
Ainsi, le Tribunal condamne Givenchy à payer 30 000 euros à l’artiste à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme.