Le 22 novembre 2022, suscitant l’indignation du grand public et des organisations non gouvernementales militant pour la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent, la décision de la cour de justice de l’Union Européenne relative à la directive anti blanchiment 2018/ 843 a retenti comme un frein au travail réalisé par le droit communautaire.
Une directive prometteuse
Adoptée en 2018 dans un souci de transparence fiscale, la directive anti blanchiment instaure le droit au grand public d’accéder aux registres des bénéficiaires effectifs d’une société créée dans l’Union Européenne. Visés par l’article 561-2-2 du code monétaire et financier, l’obligation d’inscription au registre des bénéficiaires effectifs s’appliquent à l’égard de toute personne physique possédant directement ou indirectement plus de 25% du capital ou des droits de vote d’une société.
Le public se voyait ainsi octroyer le droit d’accéder à des informations tels que, le nom, la nationalité, le pays de résidence et le mois et l’année de naissance du bénéficiaire effectif recherché. La mesure permettait ainsi d’identifier toute personne ayant un contrôle effectif sur une société. Une transparence fiscale permettant de lutter contre une forme juridique favorisant le blanchiment d’argent et les réseaux criminels, notamment par le système des sociétés écrans.
En effet, la directive européenne 2018/843 s’axe dans un objectif de contrôler l’émergence de ce phénomène. Les sociétés écrans ont une activité fictive et sont créées dans le but de dissimuler un flux fiscal émanant d’une société réelle. Située généralement dans un paradis fiscal, la société écran se voit attribuer une part des bénéfices d’une société avec une activité économique concrète lui faisant ainsi profiter d’une fiscalité plus arrangeante que l’État d’origine. Dans le cas du blanchiment d’argent, la société fictive n’est pas créée dans le but de bénéficier d’une fiscalité intéressante mais plutôt à des fins de réinjection de flux fiscaux issus d’activités illégales.
Par l’accès public des informations concentrées au sein du registre des bénéficiaires effectifs, le droit européen luttait contre la création d’hommes de paille.
L’invalidation de la disposition par la décision de Cour
A l’origine de cette décision, deux propriétaires de sociétés immatriculées au Luxembourg agirent sur le fondement de l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne contestant le libre accès de leurs données personnelles. Les requérants attestent que la directive est susceptible de favoriser à leur égard le chantage, l’extorsion et l’enlèvement dans la mesure où leurs activités les amenaient dans des pays à fort taux de criminalité.
A la grande surprise de l’opinion publique, le juge européen invalide la disposition prévoyant l’accès libre au public des registres des bénéficiaires effectifs. La directive 2018/843, pourtant soucieuse de transparence fiscale a été sanctionnée sur le même fondement considérant qu’il s’agit « d’une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée ».
La commission européenne est ainsi contrainte de revoir sa disposition et de la mettre en conformité avec les exigences et principes fondamentaux du droit européen.
Une décision au nom des libertés et droits fondamentaux
Adoptée en l’an 2000 et entrée en vigueur en 2009, la Charte des droits fondamentaux, composée de 50 articles, institue des dispositions innovantes répondant à des thématiques contemporaines telles que l’avènement d’internet. Une norme à valeur incontestable, illustrée par l‘article 6 du Traité sur l’Union Européenne la considérant comme source de droit primaire, de même valeur juridique que les Traités.
La décision du 22 novembre 2022 rappelle ainsi une exigence fondatrice du droit communautaire: le droit dérivé (règlements, directives) doit être interprété en conformité avec le droit primaire comportant en son sein la Charte des droits fondamentaux de l’UE (CJUE, 2013, Commission contre Strack). En d’autres termes, la disposition de la directive 2018/843 doit être en conformité avec les sources européennes de rang supérieur.
Sur le fondement de l’article 7, relatif au droit à la vie privée et de l’article 8, concernant la protection des données personnelles, le juge européen invalide le droit d’accès au registre des bénéficiaires effectifs au public. Une primauté des droits fondamentaux protégeant une catégorie de personnes physiques l’emportant sur une lutte laborieuse au service de l’intérêt général. La décision fait dès lors l’objet d’une divergence d’opinion, partagée entre la protection de libertés prônant un universalisme certain contre un combat envers les sociétés fictives favorisant la fraude et le blanchiment d’argent mais également, dans une autre mesure, les réseaux criminels et organisations terroristes.
Loin d’être applaudie par l’opinion publique, l’invalidation semble néanmoins en ravir plus d’un: fraudeurs et criminels se frottent déjà les mains du retour de leur anonymat. Les paradis fiscaux, passant de l’Irlande aux Pays Bas, se sont quant à eux empressés d’appliquer la décision en anonymisant leurs registres des sociétés.