Le passeport vaccinal numérisé : quels enjeux ?

5 mars 2021

Permettant d’attester de la vaccination d’une personne contre la COVID-19, le passeport vaccinal est aujourd’hui au cœur de toutes les discussions. En témoigne la consultation en ligne sur le sujet lancée par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) le 17 février dernier. Voué à être numérisé, ce document soulève de nombreuses questions juridiques notamment relatives à la protection des données à caractère personnel. 

Le certificat de vaccination numérisé : une réalité future ?

Alors que la pandémie de la COVID-19 a posé de nombreux défis sanitaires, économiques ou encore sociaux, le vaccin s’accompagne lui aussi d’enjeux substantiels, la preuve de la vaccination en fait partie. Passeport vaccinal, certificat de vaccination, « passeport Vert » ou encore « Corona pass », les dénominations ne manquent pas pour qualifier ce document. Celui-ci a vocation à s’imposer progressivement dans notre quotidien, bouleversé par la crise sanitaire depuis maintenant plus d’un an. Les initiatives pour son élaboration se multiplient à travers le monde. 

Début février 2021, le Danemark et la Suède ont annoncé la mise en place d’un certificat électronique de vaccination contre la COVID-19 destiné aux voyageurs à l’étranger. Israël, dont la campagne vaccinale est particulièrement avancée, a lancé son passeport vaccinal le dimanche 21 février. Ce « passeport vert » permet aux citoyens israéliens qui le détiennent de se rendre de nouveau dans les centres commerciaux, les salles de sport et les salles de spectacles. Les acteurs du secteur privé, tels que Microsoft, se mobilisent afin d’élaborer un passeport vaccinal numérique permettant aux citoyens d’attester de leur vaccination de manière rapide et fiable. On peut aussi évoquer le « Travel Pass » présenté par l’Association international du transport aérien qui permettrait de faciliter la reprise du trafic aérien, fortement ralenti par la crise sanitaire. 

Un passeport vaccinal n’aurait en réalité rien d’inédit. En effet des documents du même type sont déjà requis pour se rendre en Guyane et dans certains pays d’Afrique afin d’empêcher la propagation de la fièvre jaune. La nouveauté tient dans la standardisation et la numérisation de ce certificat de vaccination. Le président du Conseil européen, Charles Michel avait déclaré le 21 janvier dernier que l’Union européenne travaillait à l’élaboration d’un document officiel qui constituerait une « preuve standardisée et interopérable » de la vaccination. La mise en place d’un tel document semble s’accélérer. En effet, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne a annoncé ce lundi 1er mars que l’Union européenne proposera prochainement un projet de législation sur un « passeport numérique vert » (« Digital Green Pass »). Sur ce document entièrement numérisé, figurera le fait que la personne a été vaccinée, un test PCR négatif pour les personnes non vaccinées ou encore l’état de l’immunité d’une personne infectée. L’objectif étant de faciliter les déplacements, qu’ils soient professionnels ou touristiques. Quelques états membres ont exprimé leur méfiance face à ce projet. C’est notamment le cas de la Belgique, de la France ou encore de l’Allemagne. Les débats parlementaires s’annoncent agités. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) quant à elle se montre prudente vis-à-vis d’un tel dispositif compte tenu des connaissances scientifiques actuelles. Dans le même temps, elle travaille en collaboration avec l’Estonie, à l’élaboration d’un Certificat international de vaccination numérique qualifié de « carte jaune intelligente » .  On constate que la communauté internationale est divisée sur le sujet et cela s’explique par les nombreux défis, notamment juridiques, qu’un tel dispositif implique. 

Quels sont les enjeux juridiques d’un passeport vaccinal ?

D’une part le passeport vaccinal pourrait constituer une atteinte à la liberté en ce qu’il inciterait indirectement les citoyens à se faire vacciner s’ils ne veulent pas se voir priver du droit de travailler, de la liberté d’aller et venir ou encore du droit au respect de la vie privée et familiale. La CEDH a développé une jurisprudence très protectrice de la sphère privée et du droit à l’autodétermination et à la santé (CEDH, Pretty contre Royaume-Uni, 29 avril 2002, n°2346/02). D’autre part, le risque d’une rupture d’égalité entre citoyens est grand. En effet, les campagnes vaccinales n’avancent pas au même rythme et priorisent certaines catégories de citoyens comme les personnes âgées. Rappelons que l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme garantit le droit à la non-discrimination. Outre ces considérations, le problème juridique de la protection des données personnelles se pose. Le contrôleur européen de la protection des données, Wojciech Wiewiórowski, a d’ailleurs indiqué en avril 2020 que la collecte des données relatives à la vaccination constitue un risque élevé d’atteinte aux droits fondamentaux et a qualifié l’idée d’un « passeport d’immunité » d’« extrême ». De plus, le vaccin constitue une cible de choix pour les hackers et la pandémie n’a pas diminué le nombre de cyber attaques

Aujourd’hui le droit à la protection des données personnelles est assuré par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Dans la continuité de la Loi française Informatique et Libertés de 1978, ce règlement vise à encadrer le traitement des données personnelles sur le territoire de l’Union européenne. Pour ce faire, il offre un cadre juridique harmonisé permettant aux professionnels de développer leurs activités numériques au sein de l’Union européenne tout en respectant les droits des utilisateurs. Une protection spécifique est accordée aux données de santé qui sont définies par le RGPD comme des « données à caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d’une personne physique, y compris la prestation de services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l’état de santé de cette personne ». Ces données ont déjà fait preuve d’un aménagement de leur protection à l’occasion d’un décret du 25 décembre 2020, autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à la gestion et au suivi des vaccinations contre la COVID-19. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’est exprimée dans un avis du 10 décembre 2020. Elle a indiqué veiller au respect des droits et libertés des personnes concernées, et rappelé qu’elle userait de son pouvoir de contrôle sur le traitement de ces données. Tout laisse à penser que la CNIL fera preuve d’autant de vigilance vis-à-vis d’un passeport vaccinal. La Commission européenne a quant à elle déclaré que l’Union veillera à ce qu’un tel certificat de vaccination soit en totale conformité avec son droit sur la protection des données.  

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