Un gène constitue-t-il un objet commercial que les entreprises peuvent s’approprier et commercialiser ? C‘est la question soulevée par l’affaire Myriad Genetics dans laquelle des brevets sur deux gènes de prédisposition à plusieurs cancers ont fait l’objet de vives oppositions.
I. Une admission réglementée de la brevetabilité du gène
A. Une exclusion légale
Il est traditionnellement admis que les découvertes ne sont pas des biens intellectuels car ce sont des phénomènes naturels qui ne résultent aucunement d’une création de la part de l’homme. Dans ce cas, en vertu de l’article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle, la découverte ne peut faire l’objet d’une protection sur le fondement du brevet. Le corps humain et ses éléments sont souvent assimilés à cette large catégorie des découvertes puisque l’homme, par nature, n’est pas l’inventeur de son corps. Pourtant, l’essor des biotechnologies a remis en question le régime juridique de la brevetabilité des gènes puisqu’aucune disposition spécifique n’était prévue dans le code de la propriété intellectuelle ou dans la convention sur le brevet européen sur ce sujet avant l’implémentation de la Directive 98/44/CE. Une régulation était véritablement nécessaire au regard des confusions récurrentes entre une découverte et une invention brevetable pouvant être expliquée par la limite fine entre l’innovation technique et les caractéristiques d’un élément naturel. Désormais, l’article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, transposant l’article R.29 de la convention sur le brevet européen, consacre explicitement l’exclusion de la brevetabilité des séquences totales ou partielles d’un gène prises en tant que tel.
B. Les tempéraments de cette exclusion
En réalité, l’exclusion des gènes de la brevetabilité prévue par l’article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle n’est pas une exclusion stricte dans la mesure où ce même article prévoit que la brevetabilité reste possible si l’invention du brevet constitue une application technique d’une fonction d’un élément du corps humain. Il est alors précisé que l’élément du corps humain ne sera donc protégé par le brevet que dans la mesure nécessaire à la réalisation et à l’exploitation de cette application particulière et que ladite application particulière doit être concrètement et précisément exposée dans la demande de brevet. Cette dernière exigence reflète la volonté du législateur d’encadrer la brevetabilité des gènes au mieux, en offrant une possibilité de protection tout en évitant d’éventuels monopoles dans un secteur où l’innovation est essentielle. On retrouve cette même volonté au sein de l’Office européen des brevets dans l’affaire Myriad Genetics, car même si l’article 29 de la convention sur le brevet européen autorise qu’un gène isolé puisse constituer une invention brevetable, ces brevets ont tout de même été totalement ou partiellement révoqués pour des motifs divers tels que la présence d’erreur, d’ambiguïté ou encore de manque de clarté dans les demandes. Cela prouve bien le travail de recherche d’un juste équilibre par les juges, ce qui est indispensable car plusieurs intérêts sont en présence dans ce type d’affaires.
II. Un juste équilibre difficile à trouver
A. La fonction incitative du brevet
L’affaire Myriad Genetics est un parfait exemple de la nécessité de trouver un juste équilibre entre la récompense des chercheurs et industriels pour leur travail de recherche difficile et coûteux, et la libre concurrence dans le secteur scientifique. Au-delà du cadre juridique, il faut également prendre en compte des considérations éthiques et morales sur ce que représente l’appropriation par les entreprises d’éléments du corps humain. En effet, on comprend évidemment l’enjeu pour les entreprises d’obtenir une protection par le système des brevets après avoir dépensé des sommes colossales pour des recherches qui, par ailleurs, sont extrêmement longues. Le brevet représente alors une récompense pour ces entreprises, et incite les autres chercheurs à innover par la même occasion, en accordant un monopole d’exploitation sur l’invention pendant une durée de vingt ans, en contrepartie d’une divulgation permettant un partage des recherches source de futures inventions. Au-delà de constituer un avantage compétitif immense, on peut y voir également une façon d’assurer la sécurité juridique car, pour certains inventeurs, il est difficile d’imaginer qu’alors même que leur invention remplit toutes les conditions de brevetabilité, ils ne parviennent pas à obtenir un brevet.
B. Un risque d’instrumentalisation du brevet
En l’espèce, cette large protection accordée sur les gènes BRCA1 et BRCA2 n’a pas eu l’effet escompté puisqu’elle a été critiquée comme un brevet excessif source de concurrence déloyale. En effet, beaucoup voyaient par là un monopole qui conduisait à éliminer la concurrence car il résultait de ces trois brevets que les chercheurs devaient s’affranchir de licences onéreuses afin de pouvoir utiliser les gènes. Selon la généticienne Dominique Stoppa-Lyonnet, ces brevets permettaient également à Myriad Genetics de se constituer une « banque d’ADN » lui permettant toujours d’avoir un coup d’avance supplémentaire pour identifier un nouveau gène, car les laboratoires devaient transmettre les prélèvements sanguins à l’entreprise américaine et se soumettre à une technique d’analyse imposée. Cette privation de liberté des chercheurs met en évidence les risques de l’instrumentalisation d’un tel outil sur la concurrence et, par extension, sur les patients dont le traitement pourrait se voir ralenti.
Conclusion
Ainsi, la brevetabilité des gènes est une problématique complexe impliquant plusieurs intérêts en présence et ayant des répercussions sociétales cruciales. On voit la volonté des législateurs européens et nationaux de trouver un juste équilibre permettant d’éviter les risques de blocages économiques ou juridiques susceptibles d’entraver la recherche scientifique. C’est un souhait qui semble également être partagé par les juges américains puisque la Cour suprême, qui a aussi eu à statuer sur la validité des brevets de la société Myriad Genetics, a saisi l’occasion pour changer de jurisprudence et estime désormais qu’une séquence génétique ne peut être brevetable au vu de son origine naturelle.