Black Friday : pratique commerciale déloyale ou foire aux bonnes affaires ?

26 novembre 2021

Black Friday : pratique commerciale déloyale ou foire aux bonnes affaires ?

Symbole mondial de la consommation de masse, le black friday est une opération promotionnelle qui peut s’étaler sur plusieurs jours : black friday, black week, ou encore cyber monday. Cette pratique permet aux commerçants de faire un sacré chiffre d’affaires avant les fêtes de fin d’années, et aux consommateurs de bénéficier de bons plans shopping. Prix de référence gonflés, fausses promotions ou encore vices cachés… B.Frydman nous enseigne que c’est parce que le droit n’est pas le plus fort, qu’il faut maitriser l’art et la technique de la ruse, et ça les commerçants l’ont bien compris. Il est intéressant de s’interroger : le black friday est-il vraiment une foire aux bonnes affaires ? Ou peut-il être considéré comme une pratique commerciale déloyale ? 

I. Le Black Friday, une pratique commerciale trompeuse ?

L’article L. 121-1 du Code de la consommation nous informe qu’une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. 

Qu’elle soit simplement trompeuse ou agressive, la pratique déloyale est punie d’un emprisonnement de 2 ans et d’une amende de 300 000€, pouvant être portée à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel. La pratique agressive étant plus grave, elle entraîne par ailleurs la nullité du contrat conclu.

Prenons l’exemple d’Amazon, Sephora, Carrefour et autres, ils envahissent vos boites mails à l’approche du black friday. Pourrait-on qualifier ces pratiques de sollicitations répétées et non souhaitées de pratiques commerciales agressives au sens de l’article L. 121-7 3° du Code de la consommation ? C’est notamment ce qu’affirme l’ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho. Cette communication agressive est telle, que les députés de la Commission du développement durable ont même donné leur feu vert en commission, pour une interdiction des campagnes de promotions « Black Friday ». 

Cette pratique prône les bonnes économies. Mais est-ce vraiment le cas ? Prenons l’exemple éclairant d’un lave vaisselle avancé par l’UFC Que choisir. Il est annoncé à 319.99€ au lieu de 549€, soit une réduction de 229€ ce qui parait génial au premier abord, mais si on regarde le même site internet quelques semaines auparavant, on retrouve le même lave vaisselle au prix de 319.99€. Vous le constaterez assez aisément, la réduction réelle s’assimile à un zéro pointé. Et pourtant le consommateur a tout de même tendance à craquer. Sur ce point, la Cour de cassation a déjà considéré que « sont constitutifs de publicité de nature à induire en erreur le fait d’annoncer des remises, qui, calculées sur des prix artificiellement majorés, s’avèrent en réalité fictives. » (Cass crim 18 septembre 1996 n°9583 678) Certaines publicités concernant le black friday peuvent donc être assimilés à des pratiques commerciales trompeuses au sens de l’article L. 121-2 2° du Code de la consommation, car elles reposent « sur des allégations, indications ou présentation fausses ou de nature à induire en erreur » notamment sur « le prix ou le mode de calcul de prix, le caractère promotionnel du prix. » 

Apportons un point de veille juridique essentiel : le 10 février 2020 la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire elle vient ajouter à l’article L.121-4 23°, il dispose que sont réputées comme trompeuses, les pratiques qui ont pour objet « dans une publicité, de donner l’impression, par des opérations de promotion coordonnées à l’échelle nationale, que le consommateur bénéficie d’une réduction de prix comparable à celle des soldes » et ce, en dehors de leur période légale.

II. Le Black Friday, une foire aux bonnes affaires ?

Pour être déloyale une pratique commerciale doit d’une part altérer ou être susceptible d’altérer le comportement économique du consommateur, et d’autre part être contraire aux diligences professionnelles

Si certaines pratiques commerciales exercées pendant le Black Friday semblent déloyales, il est impossible de faire de ces cas isolés de malversation, une généralité. Tous les commerçants ne sont pas avides de bénéfices tronqués. Un commerçant qui pratique le black friday en respectant certaines règles ne fait donc pas preuve de déloyauté. Si le prix réduit annoncé est réalisé par rapport à un prix de référence clairement mentionné, et que l’annonceur peut le justifier, il ne contrevient pas aux diligences professionnelles, et n’altère pas le comportement économique du consommateur moyen.  En cela, toutes les offres du black friday ne sont pas envisagées pour tromper le consommateur. 

Il convient d’insister sur le fait que ce même consommateur moyen est avisé des risques du black friday. En effet, le gouvernement intervient dans l’information du consommateur à l’aide de la DGCCRF qui offre une liste de conseils aux consommateurs afin d’éviter les cyber-arnaques. On leur conseille notamment de repérer en amont les articles sur les sites, de se méfier des offres trop généreuses, ou encore de ne pas confondre vitesse et précipitation. La répression des fraudes intervient également directement sur le terrain, afin d’inspecter les pratiques de nos commerçants et sanctionner en cas de pratique commerciale déloyale avérée. Par ailleurs, le consommateur n’est pas seul, il dispose de nombreux d’outils pour déjouer les arnaques, certains instruments mettent en place des indices de confiance pour vérifier la fiabilité de certains sites de e-commerce. On peut donc affirmer que les consommateurs disposent des moyens nécessaires pour être raisonnablement avisés et informés, et ainsi ne pas se laisser tromper. Le député Bruno Milienne l’affirme « les citoyens savent décoder la publicité. »  Il faut donc séparer le bon grain de l’ivraie, séparer l’exagération commerciale de la véritable tromperie. Et, la Cour de cassation a déjà pu considérer que l’outrance de l’image publicitaire n’était pas condamnable (Cass, crim, 21 mai 1984 n°83-92070). Si le black friday est considéré comme une grande braderie, c’est aux consommateurs de « chiner » les bonnes affaires.  

Pour être déloyale, la pratique commerciale doit être susceptible de peser sur le choix du consommateur de contracter ou non. Mais peut-on caractériser une déloyauté, alors que l’objectif du black friday est de faire des économies ? Certaines bonnes affaires sont simplement des bonnes affaires. C’est la liberté de choix du consommateur, il achète et il consomme ce qu’il souhaite. Mais c’est également, la liberté du commerçant de gérer ses offres promotionnelles à sa guise. 

Enfin, si beaucoup insistent sur le fait que la communication du black friday peut être agressive,  cette affirmation est à prendre avec des pincettes. Une communication est-elle agressive lorsque le consommateur a la possibilité de se désinscrire de la newsletter ? Ou qu’elle se trouve perdue dans les courriels indésirables. 

Considérer le black friday comme une pratique commerciale déloyale en tant que telle reviendrait à remettre en question l’existence même de ce vendredi noir. Le législateur aussi avisé et raisonnable soit il, laisserait-il une pratique commerciale déloyale perdurer, et se réitérer chaque année au détriment des consommateurs français. La loi de 2020 citée précédemment ne présente pas le black friday comme une pratique commerciale déloyale en tant que telle, elle vient en réglementer sa publicité pour informer le consommateur que non, le black friday n’est pas une période de solde. 

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