Le rôle du juge est de trancher les litiges en fonction de la loi, œuvre du législateur. Le législateur est investi du pouvoir de légiférer, de créer la loi. Ces deux institutions sont distinctes l’une de l’autre en vertu du principe de séparation des pouvoirs. C’est ce que rappelle opportunément l’article 5 du Code civil qui dispose que « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. ». L’article pose l’interdiction de légiférer du juge. De cette interdiction, découle l’interdiction de rendre des arrêts de règlement et la relativité de l’autorité de la chose jugée.
L’interdiction de rendre des arrêts de règlement
Le contenu de l’interdiction
En vertu de l’article 5 du Code civil, les juges ne doivent pas rendre des arrêts de règlement. Un arrêt de règlement est une décision du juge qui énonce une règle générale, désormais applicable à l’avenir. Plus précisément, le juge se prononce sur un cas soumis à son magistère, mais en plus il étend expressément sa décision à tous les cas similaires à venir.
Le législateur proscrit la pratique des arrêts de règlement aux tribunaux d’instance (tribunal de première instance et tribunal de grande instance), à toute juridiction administrative (tribunal administratif, Cour administrative).
L’adoption de cette pratique par la Cour ou le tribunal constituerait une violation au principe de la séparation des pouvoirs, en empiétant sur les pouvoirs du parlement ou de l’exécutif, seuls habilités à se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire.
La prohibition des arrêts de règlement en procédure civile ou en procédure pénale impose au juge de la Cour d’appel ou toute autre instance juridictionnelle le respect de deux règles dans les décisions rendues :
- L’obligation de se contenter de donner une solution en toute légalité au litige posé, sans en dépasser le cadre stricte.
- L’interdiction de statuer sur un litige en fonction d’une décision précédente sur un cas similaire.
En somme, le juge (juge administratif, juge civil et juge pénal) ne doit pas aller au-delà de l’objet du litige qui lui est soumis. Il a une action tournée vers le passé sur des litiges déjà nés.
Le juge ne doit pas se prononcer sur les litiges à venir. Il y a toutefois des exceptions.
Les tempéraments de l’interdiction
La Cour de cassation et le Conseil d’Etat apportent un tempérament à l’interdiction du juge de rendre des arrêts de règlement.
La Cour de cassation et le Conseil d’Etat sont distincts des autres juridictions. Elles rendent des décisions appelées arrêts de principe.
Les arrêts de principes sont des décisions des juridictions suprêmes qui font effet de jurisprudence auprès des juridictions inférieures. Tandis que les juridictions inférieures ne peuvent rendre que des arrêts d’espèces.
Les arrêts d’espèces sont des décisions du juge, circonscrites aux litiges qu’elles tranchent. La particularité des arrêts de principe est que ceux-ci énoncent des principes d’application générale appelés à s’appliquer à d’autres situations analogues.
Deux points permettent de distinguer les arrêts de principes des arrêts d’espèces :
- Les juridictions suprêmes (Cour de cassation, Conseil d’Etat) rendent des arrêts de principe, tandis que les arrêts d’espèces sont rendus par les juridictions inférieures (Tribunaux d’instances, Cours d’appel). La Chambre civile de la Cour de cassation peut rendre un arrêt de principe à la suite d’un pourvoi en cassation.
- Les juridictions inférieures ne sont pas liées par les arrêts de principe des juridictions suprêmes ; bien que recommandé, elles ne sont pas obligées de les suivre. Elles encourent toutefois la cassation si elles sont contraires ou non-conforment à l’arrêt de principe ; sauf cas de virement jurisprudentiel.
Le principe de l’autorité relative de la chose jugée
L’interdiction de rendre des arrêts de règlement entraine l’autorité de relative de la chose jugée dans les décisions du juge.
Qu’est-ce que l’autorité relative de la chose jugée ?
Le principe de l’autorité relative de la chose jugée désigne l’autorité limitée de la décision du juge.
Ce principe est prévu à l’article 1355 du Code civil en ces termes « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. ».
L’autorité de la décision que rend le juge est donc circonscrite au contentieux à propos duquel elle a été rendue. Elle n’a pas une portée générale, elle n’a pas vocation à s’appliquer automatiquement à des cas similaires futurs.
Par conséquent, il est possible qu’une juridiction rende successivement deux jugements différents pour deux affaires similaires. Le jugement de la première affaire n’étant pas fondé à s’appliquer à la seconde affaire, bien que les deux affaires soient similaires.
Quelles sont les implications du principe ?
Le principe d’autorité relative de la chose jugée entraine deux conséquences :
- Un juge ne peut s’abstenir de juger d’une contestation au seul motif qu’une affaire similaire a déjà été jugée par une autre juridiction. Il doit nécessairement justifier son refus de se prononcer sur l’affaire par un texte de loi, ou tout au moins un principe général du droit.
- Une même affaire ne peut être jugée deux fois : C’est dire que lorsque pour un litige, les parties ont déjà épuisé toutes les voies de recours (appel et cassation), il leur est impossible de ressaisir un nouveau juge pour avoir une décision différente pour le même litige. Une affaire jugée l’est donc définitivement. L’autorité de la chose jugée est relative à l’égard des affaires similaires. Mais pour une affaire identique, la décision du juge revêt une autorité absolue de la chose jugée ; une affaire identique ne peut donc plus être jugée. Il faut entendre par affaire identique, une affaire opposant les mêmes parties, sur le même litige et autour du même objet (chose demandée).