La justice est l’un des fondements de l’Etat de droit. Toute personne devrait pouvoir trouver justice auprès des juridictions étatiques. Le législateur, conscient de ce besoin impérieux de justice a contraint le juge à se prononcer sur tout litige soumis à son magistère. Il dispose à l’article 4 du Code civil « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. ». Le législateur pose alors une véritable obligation pour le juge de statuer, mais également l’obligation d’interpréter la loi.
L’obligation du juge de statuer sur le litige
Le juge est obligé de statuer, qu’il s’agisse de la du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, les tribunaux d’instance. Cela signifie qu’il est interdit au juge de se soustraire à son obligation de dire la règle de droit et de trancher le litige. Cette obligation entraine l’interdiction du déni de justice, et l’obligation de statuer en toutes circonstances.
L’interdiction du déni de justice
Le législateur rappelle que « Le juge qui refusera de juger … pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. ». Il faut entendre par déni de justice, le refus de juger.
En 1804, lors de la rédaction de l’article 4 du Code civil, sous l’ancien régime, le législateur avait déjà compris l’importance du rôle du juge dans un Etat de droit. La justice est le garant de la paix dans un Etat. C’est dire que dans l’idéal, tout citoyen devrait avoir confiance en la justice de son pays. Et cet idéal ne saurait être atteint si le juge devait se dérober à son devoir de rendre justice. Ce refus aurait de graves conséquences et entrainerait un Etat anarchique où chacun voudra se rendre justice soi-même. Une situation contraire à l’Etat de droit voulu par le législateur.
En droit positif, en le sanctionnant de déni de justice, le législateur oblige le juge à statuer en toutes circonstances. L’interdiction du déni de justice est une garantie de la stabilité du système juridique et du respect des droits fondamentaux. Elle est d’ordre public et s’impose à toute instance juridictionnelle, aussi bien au juge administratif qu’au juge de première instance.
L’obligation de statuer en toutes circonstances
En droit français, les magistrats sont obligés de juger le litige en toute légalité, c’est-à-dire de se prononcer sur tout litige posé à leur attention en fonction de la loi. Cette règle vaut aussi bien en droit interne qu’en droit international (Cour européenne des droits de l’homme), peu importe la nature du litige, mais surtout peu importe les faiblesses ou lacunes de la loi. L’article 4 du Code civil évoque expressément le silence, l’obscurité ou l’insuffisance de la loi. Chacune ou alors aucune de ces situations ou prétextes ne soustrait le juge à son obligation de dire le droit.
- Le silence de la loi : il désigne les cas où la loi ne régit pas une matière. La loi est alors silencieuse (loi inexistante) et ne donne pas au juge la solution à appliquer au litige posé. On parle également de vide juridique.
- L’obscurité de la loi : on parle de loi obscure lorsqu’elle contient des dispositions imprécises ou contradictoires les unes aux autres. Il revient donc au juge de l’interpréter, l’expliquer et l’adapter au litige soumis.
- L’insuffisance de la loi : la loi est insuffisante lorsqu’elle est incomplète, au vu de l’étendue d’une matière ou des litiges pouvant en résulter. Le juge devra donc la compléter pour répondre au problème posé.
Le juge est donc obligé de se prononcer sur le litige entre les parties, quand bien même la loi serait lacunaire, aussi bien en procédure civile qu’en procédure pénale. Le refus de juger laisser libre cours à toute violation des droits et libertés, protégés par la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). L’obligation de juger contraint le juge à une autre qui en découle directement : l’obligation d’interpréter la loi.
L’obligation du juge d’interpréter la loi
L’obligation d’interpréter la loi est le corollaire de l’obligation de statuer sur tout litige. Lorsque le juge doit trancher un litige, si la loi telle qu’elle est formulée ne lui permet pas de le faire, soit parce qu’elle est imprécise ou alors limitée, le juge doit trancher en recherchant l’esprit de la loi, ou selon sa propre conviction. On parle alors du devoir d’interprétation de la loi.
Le devoir du juge d’interpréter les dispositions législatives découle de son obligation de dire le droit. Lorsqu’il se prononce sur une question pas encore prévue par la loi, on dit que le juge fait œuvre de jurisprudence. La jurisprudence désigne alors toute décision du juge, qui fait sens auprès de ses paires, et qui fait référence pour tous les cas similaires, en l’absence de toute disposition légale ou réglementaire. Le rôle du juge d’interpréter la loi effleure à bien des égards le devoir de légiférer qui est une compétence exclusive du législateur. Le juge est formellement interdit de légiférer (l’article 5 du Code civil).
Au moyen de la jurisprudence, le juge contribue à la création du droit. La jurisprudence est une source du droit (source secondaire), car elle crée du contenu juridique en cas de silence de la loi (source principale) ; soit parce que la loi est par nature générale et abstraite, soit parce que l’objet social a évolué, rendant la loi obsolète. Il faut à juste de titre noter que la jurisprudence s’adapte plus rapidement aux différentes évolutions sociales. Tandis que la procédure d’adoption de la loi est longue et parsemée d’étapes (proposition, lecture, amendement, adoption, promulgation, publication).
Les jugements des tribunaux ou les arrêts rendus par la Cour par les juges du fond, en droit pénal ou toute autre discipline doit être conforme au sens de la loi. Lorsqu’il interprète la loi, le juge choisit entre différents procédés d’interprétation, tout en respectant les différentes maximes d’interprétation.
Les procédés d’interprétation
Les procédés d’interprétation de la loi sont les voies par lesquelles le juge s’emploie à ressortir l’esprit de la loi, la volonté du législateur. On en distingue trois :
- L’interprétation par analogie : elle transpose une loi qui régit une situation précise, à une situation qu’elle ne régit pas mais qui rappelle celle qu’elle régit.
- L’interprétation à fortiori : lorsqu’une loi régit une situation mineure, le juge peut l’appliquer à une situation majeure, lorsque celle-ci n’est pas régie.
- L’interprétation à contrario : le juge va appliquer le contraire de ce que prévoit une loi, lorsque les conditions de son application ne sont pas réunies.
Au-delà des procédés d’interprétation sus-évoqués, la doctrine a contribué par deux méthodes d’interprétation de la loi.
- L’école de la méthode exégétique, elle cherche à ressortir le sens de la loi en pénétrant son esprit. Pour pénétrer l’esprit de la loi, l’interprète ou juge devra se référer aux travaux préparatoires de la loi, l’exposé des motifs ou encore les précédents historiques.
- L’école de la méthode de la libre recherche scientifique, développée par François Gény qui évoque les limites de la méthode exégétique, propose au juge d’interpréter la loi par la raison, l’équité, les données de la réalité sociale, économique, psychologique de son temps.
Les maximes d’interprétation
Les maximes d’interprétation sont des règles de droit cardinales au-delà desquelles aucune interprétation d’une disposition législative ne saurait aller. Le juge est donc tenu de les observer peu importe le procédé d’interprétation ou la méthode d’interprétation utilisée. Il s’agit de :
- « Il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas » (Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus). Le juge ne peut concéder des exceptions non-prévues par la loi.
- « Les exceptions doivent être interprétées strictement » (Exceptio est strictissimae interpretationnis). Le juge ne peut étendre le champ d’application des exceptions au-delà de ce qui est prévoit la loi.
- « Les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales » (Specialia generalibus derogant). Le juge applique la loi générale, excepté lorsqu’une loi spéciale (plus précise) est prévue en la matière.
En somme, la juridiction doit interpréter la loi, sans toutefois contredire le cadre législatif, et dans le respect des maximes d’interprétation.
L’interprétation de la loi organique peut également entrainer un contrôle de constitutionnalité de la loi, lorsqu’elle est effectuée par le juge constitutionnel. La Cour constitutionnelle va alors veiller à ce que la loi ne fasse pas acte d’inconstitutionnalité.