La fonction première du juge est de trancher les litiges entre les parties. Mais ce n’est pas tout. Le législateur lui a rajouté une autre fonction. Le juge peut alors être amené à se prononcer sur des cas ne présentant aucun litige entre deux parties, mais donc l’issue est soumise à sa décision. On parle ici de matière gracieuse. Elle est prévue par les dispositions des articles 25 et suivants du Code de procédure civile. Pour comprendre la matière gracieuse, il faut s’interroger sur son déroulement et son issue. Mais avant tout, qu’est-ce que la procédure gracieuse ?
Qu’est-ce que la matière gracieuse ?
Le législateur énonce à l’article 25 du Code de procédure civile que « Le juge statue en matière gracieuse lorsqu’en l’absence de litige il est saisi d’une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l’affaire ou de la qualité du requérant, qu’elle soit soumise à son contrôle ». On peut en déduire ici que la matière gracieuse, encore appelée procédure gracieuse se caractérise par deux critères essentiels :
- une absence de litige à trancher ;
- et une exigence de contrôle du juge.
Absence de litige
Il faut entendre par absence de litige, toute situation ne comportant pas de conflit entre demandeur et défendeur autour d’intérêts divergents. La procédure gracieuse est donc une procédure née d’une demande d’intervention du juge, ne présentant pas de litige à trancher. Elle se distingue en cela de la procédure contentieuse. Cette dernière place le juge au centre des prétentions entre justiciables et pour lequel il doit se prononcer en faveur d’une partie ou de la partie adverse.
Mais la notion d’absence de litige n’est pas toujours facile de compréhension. Anciennement, le législateur avait employé l’expression d’absence de contestation (article 2 loi du 15 juillet 1944). Cette formule s’était alors montrée limitée pour caractériser à suffisance la procédure gracieuse. Au demeurant, la notion d’absence d’adversaire va se monter plus à même de définir la procédure gracieuse.
Le contrôle du juge
Le contrôle du juge s’entend de toute vérification ou observation qu’effectue le magistrat sur un acte. Ce pouvoir de contrôle du juge lui est attribué par le législateur. Lorsque le législateur donne au juge compétent (tribunal judiciaire ou TJ, tribunal de première instance, conseil de prud’hommes) le pouvoir de contrôler une situation, cette dernière fait alors l’objet d’une procédure gracieuse. Le contrôle du juge est un contrôle de légalité de l’acte juridique. Il porte sur l’accomplissement des formalités ou respect des conditions de fond ou de forme d’un acte.
En outre, il ressort du Code de procédure civile que plusieurs domaines relèvent de la procédure gracieuse, tels que :
- La déclaration d’absence (article 1067) ;
- L’adoption (article 1167) ;
- La rectification des actes d’état civil (article 1050) ;
- Le divorce par consentement mutuel (article 1088) ;
- La séparation de corps (article 1129) ;
- L’homologation des accords transactionnels (article 1568).
Comment se déroule la procédure en matière gracieuse ?
L’introduction de l’instance
L’instance est introduite par requête en matière gracieuse (article 60 du Code de procédure civile). La requête doit suivre un formalisme strict. Le législateur a prévu aux articles 54, 57 et 757 du Code de procédure civile les mentions de droit commun que doit comporter une requête (objet de la demande, justificatifs de la demande, signatures des avocats, etc.).
Le contenu de la requête pourra varier en fonction du domaine auquel elle se rapporte. La requête va donc comporter des mentions spécifiques prévues par le Code de procédure civile. Il s’agit alors de :
- Ordonnance sur requête (article 494) ;
- Requête en injonction de payer (article 1407) ;
- Requête en injonction de faire (article 1425-2).
La requête est formée par un avocat, ou un officier public ou ministériel habilité – notaire ou huissier de justice – (article 808 du Code) devant le tribunal judiciaire. Si elle n’est pas formée devant cette juridiction, le demandeur peut lui-même déposer sa requête au greffe (article 61 du Code).
Le déroulement de l’instance en matière gracieuse
La procédure gracieuse est caractérisée par les pouvoirs du juge et les débats.
Le juge dispose de pouvoir élargis en matière gracieuse. Cela dit, il n’est pas limité aux seuls faits évoqués par la requête introductive d’instance comme en procédure contentieuse (article 7 du Code). Ici, il a la possibilité de se fonder sur des faits non mentionnés dans la requête (article 26 du Code).
Le pouvoir d’instruction de l’affaire dont dispose le juge se traduit en pouvoir d’investiguer, soit ordonner des mesures d’instruction (investigations, expertise, etc.) ; et en pouvoir d’auditionner, soit entendre librement les parties concernées par sa décision.
Le juge dispose de la faculté rendre sa décision sans la tenue de débats, lorsqu’il estime que le bien-fondé de la requête est établi. Cette décision est insusceptible de voies de recours.
Si le juge autorise les débats, l’intervention du ministère public peut être obligatoire ou facultative. Lorsqu’elle est obligatoire, la présence du Procureur de la république est requise par la loi, il intervient en qualité de partie au procès ou en représentant d’autrui. Par contre, lorsqu’elle est facultative, la loi autorise le Procureur de la république à adresser au juge ses conclusions par écrit.
Les débats sont en principe publics, excepté interdictions de la loi (article 422 du Code). Lorsqu’ils ne sont pas publics, les débats ont lieu en chambre de conseil.
Que dire du jugement en matière gracieuse ?
Le jugement est une décision que rend un tribunal d’instance ou toute juridiction de premier degré. Trois points peuvent être soulevés dans cette rubrique, à savoir : le prononcé du jugement, son contenu et sa notification.
Le prononcé de la décision du juge
Le prononcé du jugement suit le principe de la tenue des débats l’ayant précédé. La logique voudrait que si les débats étaient publics, la décision du juge soit également publique, et vice-versa. Mais il est de principe que les décisions gracieuses soient rendues hors de la présence du public (article 451 du Code).
Dans certaines matières par contre, le législateur prévoit expressément la publicité de la décision, notamment en matière de filiation (article 1149 du Code) et en matière d’adoption (article 1174 du Code).
Le contenu et la notification du jugement
Le jugement en matière gracieuse est un jugement au même titre que tout autre. Sur ce, il doit contenir toutes les mentions communes à tous les jugements (nom de la juridiction, du juge, décision rendue, délai d’exécution des voies de recours, lieu et date, etc.). De surcroît, le contenu de la décision doit mentionner les noms des personnes auxquelles elle doit être notifiée.
La notification doit être faite à toute personne pouvant être lésée par la décision et selon les cas au ministère public (article 679 du Code). Conformément à l’article 675 du Code, le jugement en matière gracieuse peut être notifié par le greffier de la juridiction, ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.