Scénariste, un statut juridique à réécrire

2 avril 2021

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Alors que l’offre de productions audiovisuelles n’a jamais été aussi grande et que la nécessité de se raconter de nouvelles histoires dans ce contexte de crise sanitaire est palpable, le scénariste bénéficie toujours d’un statut inadapté à la réalité de son activité.  Ce phénomène entraine une précarisation de la profession et appelle à une refonte du statut.

I. Le malaise grandissant des scénaristes

En février 2021, les scénaristes de la saison 1 de la série En thérapie diffusée sur Arte ont annoncé qu’ils ne participeront pas à l’écriture de la saison 2. En cause, l’existence d’un profond désaccord entre la production et l’équipe d’auteurs. En effet, ces derniers se sont vus refuser le crédit dans la direction artistique ou la coproduction qu’ils revendiquaient.  Cette démarche fait écho à la multiplication des témoignages exposant les difficultés rencontrées par les scénaristes dans l’exercice de leur profession. Ces messages, que l’on compte par dizaines, sont compilés sur la page Facebook du collectif « Paroles de scénaristes » créée le 1er décembre 2020.  Le 4 février 2021, ce même collectif publie sur le site Internet du magazine Télérama une tribune appelant la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, à « mettre en place les Etats généraux du scénario ». Les scénaristes réclament « une meilleure reconnaissance de leur travail » et souhaitent mettre un terme à leur « statut d’esclaves modernes » dépourvus de protection sociale appropriée. 

Concrètement, de telles revendications s’illustreraient par l’adoption d’un nouveau statut juridique, remédiant aux failles du modèle actuel.

II. L’inefficacité d’un statut juridique inadapté 

Le scénariste est un auteur. L’article L113-1 du Code de propriété intellectuelle indique que l’auteur est celui ou celle « sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». Cette définition pose un premier problème en ce qu’elle conditionne la qualité d’auteur à la divulgation de l’œuvre, en omettant son travail d’élaboration. Le scénariste est rémunéré sur la base des droits d’exploitation qu’il possède sur l’œuvre et non pas sur son travail d’écriture. Le rapport « L’auteur et l’acte de création » établi par Bruno Racine, conseiller maitre à la Cour des comptes, et remis à l’ancien ministre de la Culture Franck Riester le 22 janvier 2020 n’a pas manqué de relever cette absence de rémunération du travail d’écriture. Afin de surmonter cette difficulté, la pratique de l’à-valoir est monnaie courante et elle permet aux scénaristes  d’être rémunérés  avant la divulgation de l’œuvre. Toutefois, les montants versés sont souvent trop faibles et insuffisants pour garantir aux scénaristes une sécurité financière tout au long du processus d’écriture de l’œuvre. Aussi, peut être versée une prime correspondant au temps passé à la création de l’œuvre ou en échange de l’exclusivité accordée au producteur.  

Ces rémunérations restent dépendantes de clauses contractuelles résultantes d’un déséquilibre entre de puissants acteurs de l’aval (producteurs, éditeurs, diffuseurs) et une partie plus faible, les scénaristes. Ce constat implique de s’intéresser à la représentation des scénaristes. Malheureusement, celle-ci est imparfaite. De nombreux organismes se prévalent de défendre les intérêts des auteurs : associations, syndicats ou encore organismes de gestion collective. Cette multitude et diversité d’acteurs a pour conséquence un manque de clarté dans la protection des scénaristes.  La Guilde des scénaristes qui se présente comme le « seul syndicat uniquement dédié aux intérêts professionnels et moraux des scénaristes en France »  a d’ailleurs publié en septembre un document au titre évocateur, « L’impossible dialogue social ». Il est question dans ces quelques pages de réaffirmer la nécessité de garantir la liberté syndicale des scénaristes ainsi que leur réprésentativité légale. Pour ce faire, le syndicat propose de mettre en œuvre « l’organisation d’élections visant à déterminer la représentativité des organisations d’artistes-auteurs, et d’assurer un financement suffisant de ces dernières ».

III. Vers un statut autonome de « showrunner » ?

Lors d’un « hackathon » organisé en mars 2020 et réunissant de nombreux acteurs spécialisés en propriété intellectuelle et d’artistes-auteurs dans les secteurs du livre et de l’audiovisuel, la voie d’un statut autonome a été évoquée. Ce statut prévoirait une représentation syndicale assimilable à celle qui existe pour les salariés ou pour les employeurs avec un syndicat fort comme la Writers Guild of America (lien externe 9). Fondé en 1921, ce syndicat compte 10 000 membres et est le représentant légal des scénaristes aux Etats-Unis.  Il contrôle notamment la répartition des droits d’auteur proportionnellement à la contribution de chaque auteur au scénario. Le producteur d’une série ne peut prétendre au titre de créateur que s’il a participé à son écriture. Ces auteurs-producteurs qui interviennent à la fois au stade de l’écriture, du casting, de l’image et du montage d’une production audiovisuelle sont appelés showrunners. On peut citer quelques noms célèbres : Ryan Murphy (Glee, American Horror Story), Greg Daniels (The Office), Shonda Rimes (Grey’s Anatomy, Scandal) ou encore Sam Esmail (Mr Robot). Le showrunner garde la main sur son œuvre de l’écriture jusqu’au final cut.  

En France, ce statut n’a pas d’existence juridique. Il permettrait pourtant de valoriser le travail des scénaristes et de leur assurer une meilleure représentativité notamment face aux acteurs de l’aval. Quelques auteur.e.s comme Fanny Herrero (créatrice de Dix pour cent) ou Frédéric Krivine (créateur d’Un village français) semblent ouvrir la voie et incarnent ces showrunners à l’américaine. Espérons que la réécriture du statut juridique du scénariste ne se fasse pas trop attendre… 

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