Loi du 14 février 2022 sur l’entrepreneur individuel : focus sur les failles de la loi 

7 janvier 2023

Loi du 14 février 2022 sur l’entrepreneur individuel _ focus sur les failles de la loi 

Présentée comme une solution « miracle » et extrêmement favorable aux nouveaux entrepreneurs, la loi du 14 février 2022 ne répond finalement peut-être pas à son objectif. Présentation attrayante, mais qu’en est-il de la réalité ?

Annoncée par Emmanuel Macron en 2021, la loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante crée un statut unique de l’entrepreneur individuel en vue d’une suppression progressive de l’entrepreneur à responsabilité limitée. Cette loi, publiée au Journal Officiel le 15 février 2022 et entrée en vigueur le 15 mai 2022, vise à promouvoir l’entrepreneuriat en rendant le statut d’entrepreneur individuel plus attractif.

Alors que cette loi présente de nombreux avantages tel qu’une protection accrue du patrimoine personnelle et une simplification manifeste des formalités et du fonctionnement de l’entrepreneur individuel, force est de constater que cette loi nouvelle présente certaines failles et ne règle pas tous les problèmes juridiques, administratifs et fiscaux susceptibles de se confronter à l’entrepreneur individuel. 

Une protection de l’entrepreneur individuel entravant la liberté dans l’exercice de son activité

Une protection du patrimoine personnel vraiment favorable à l’activité de l’entrepreneur individuel ?

Exhibé comme un dispositif plus protecteur à l’égard du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, force est de constater que cette protection présente en réalité certaines limites.

En effet, une entreprise individuelle à ses débuts aura nécessairement besoin de financements de la part des banques. Or, ces dernières auront très certainement le même réflexe qu’elles ont pour les sociétés et exigeront que l’entrepreneur individuel se porte caution de son patrimoine professionnel. Seulement, l’article L.526-22 alinéa 3 du Code de commerce issue de la loi nouvelle, interdit à l’entrepreneur individuel de se porter caution en garantie d’une dette dont il est le débiteur principal.

Cette interdiction, bien que favorable au patrimoine personnel, risque d’entraîner des défaillances à l’entreprise individuelle, faute de financements.

La preuve de l’affectation incombant à l’entrepreneur individuel: un doute profitant au créancier

L’article L.526-22 du Code de commerce issu la loi du 14 février 2022 dispose que la preuve de l’affectation d’un bien incombe à l’entrepreneur individuel. En revanche, cette règle n’est pas sans complication et sans coût pour ce dernier puisqu’il sera certainement préférable pour lui de faire appel à un comptable afin de disposer d’une preuve solide de l’affectation. En effet, puisque la comptabilité vaut affectation, l’appel aux services d’un comptable apparaît être une bonne solution.

Néanmoins, de nombreux entrepreneurs individuels ne peuvent financièrement se permettre un tel service, il semblerait alors que cette nouvelle disposition n’est pas favorable à l’entrepreneur individuel. Ainsi, en cas de doute à propos de l’affectation d’un bien, le doute profite au créancier.

Des mentions obligatoires affectant la sécurité financière de l’entrepreneur individuel

Le décret du 28 avril 2022 vient préciser les mentions obligatoires qui doivent être apposées sur les documents de l’entrepreneur individuel. En effet, les entrepreneurs individuels à compter du 15 mai 2022 doivent obligatoirement apposer la mention « EI » ou « entrepreneur individuel » sur les documents et correspondances à usage professionnel.

Ces documents correspondent à un éventail large : ils vont de la dénomination du compte en banque aux documents de communication.

Concernant la dénomination du compte en banque, il est à noter que l’ouverture d’un compte professionnel n’est obligatoire que si le chiffre d’affaires de l’entreprise individuelle est supérieur à 10 000 euros pendant 2 années civiles. Ainsi, nombreux sont les entrepreneurs individuels qui décident de ne pas ouvrir un compte dédié à leur activité professionnelle du fait du coût de l’ouverture du compte. Seulement, les banques auront tout à fait la possibilité de refuser d’ajouter la mention « EI » ou « entrepreneur individuel » à un compte personnel. Or, sans une telle mention et dans l’hypothèse d’un litige avec un créancier professionnel, ce dernier pourra se prévaloir de l’ensemble du compte en banque personnel en arguant que celui-ci est uniquement professionnel. C’est un litige tout à fait probable et dont le décret n’offre aucune réponse.

Un droit des créanciers a priori en danger

Les biens mixtes: une fraude aux droits des créanciers personnels ?

Certains biens ne sauraient entrer uniquement dans un patrimoine puisqu’ils sont à la fois d’usage professionnel et personnel. Typiquement, il s’agit de la voiture de l’entrepreneur individuel ou encore du bureau professionnel agencé dans le domicile. La loi du 14 février 2022 relève qu’appartient au patrimoine professionnel « les biens utiles à l’activité ».

Les biens mixtes sont réputés appartenir au patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, faute d’interdiction expresse du législateur de les y intégrer. Ainsi, le patrimoine personnel de ce dernier pourrait être réduit de manière frauduleuse et porter atteinte aux droits des créanciers.

Néanmoins la loi semble s’être accaparée partiellement de ce problème puisque l’article L526-22 alinéa 6 du code de commerce dispose que: « Si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos ». En revanche, cette action ouverte au créancier personnel semble difficilement applicable en pratique

Une interrogation tenant à la date de la créance

La loi du 14 février 2022 et les décrets pris en son application ne semblent pas avoir étudié l’hypothèse de l’entrepreneur individuel déjà en activité avant l’entrée en vigueur de la loi. En effet, cette loi étant non-rétroactive, les créanciers de l’entrepreneur individuel en nom propre avant le 15 mai 2022 restent soumis au régime ancien, un régime plutôt favorable pour ces derniers puisqu’il existe une confusion des patrimoines professionnel et personnel.

Avant le 15 mai 2022, les entrepreneurs individuels en nom propre ne bénéficiaient pas de la séparation des patrimoines s’il n’avaient pas opté pour le régime favorable de l’EIRL. Les créanciers postérieurs à cette loi sont en revanche soumis à ce principe de séparation des patrimoines. Or, une interrogation subsiste quant à la date de la créance. En effet, la loi ne précise pas à partir de quand le droit de créance du créancier naît à l’égard de l’entrepreneur individuel. Il pourrait donc s’agir aussi bien de la date d’élaboration de la facture que de la date de livraison. Ainsi, le créancier ayant produit sa facture ou réalisé la livraison après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle est-il soumis au nouveau régime manifestement moins favorable à son égard ? La loi ne semble pas répondre à ce problème. 

Quid du conjoint de l’entrepreneur individuel par ce nouveau dispositif ?

L’article L526-26 de la loi du 14 février 2022 dispose que la section 3 s’entend sans préjudice des pouvoirs reconnus à l’époux de l’entrepreneur individuel concernant l’administration et la libre disposition des biens communs. Cette section reprend notamment les dérogations au principe de séparation du patrimoine. En effet, la loi nouvelle présente l’hypothèse d’une renonciation au principe de séparation du patrimoine sur demande écrite d’un créancier pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant.

En revanche, aucune formalité n’est requise au sein de l’article L526-25 afin de prouver le consentement de l’époux à cette renonciation. Bien que l’article suivant entend protéger les pouvoirs de l’époux de l’entrepreneur individuel ; force est de constater que ce dernier est libre de procéder à cette renonciation qui peut notamment porter sur un bien commun sans l’accord de son conjoint.

En partenariat avec la Clinique Juridique LILLE

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