L’affaire Pierucci : quand la justice de l’Oncle Sam s’abat contre la corruption !

27 octobre 2021

L’affaire Pierucci : quand la justice de l’Oncle Sam s’abat contre la corruption !

14 avril 2013, aéroport JFK de New York, ville lumière qui ne dort jamais, jungle de béton où les rêves les plus fous se concrétisent…Frédéric Pierucci est arrêté par le FBI. Accusé de corruption, la justice américaine lui reproche notamment d’avoir eu connaissance du versement de pots de vin, en vue d’aboutir à la conclusion d’un généreux contrat en Indonésie. Au total, il passera 25 mois en détention, purgés en deux fois sur le territoire américain. 

En quoi cette arrestation reflète-t-elle l’application de l’extraterritorialité du droit américain en matière de corruption ? Quelles sont les dessous de cette affaire ? La lutte contre la corruption ne serait-t-elle pas un prétexte pour mener une guerre économique entre entreprises ? 

I. Qui est Frédéric Pierucci ? 

Frédéric Pierucci était un homme d’affaire reconnu et respecté : ancien cadre dirigeant de la division chaudière du groupe français Alstom et père de famille, il avait tout… Son cauchemar commence le 14 avril 2013, lorsque ce dernier est arrêté pour corruption par le gouvernement américain. Il sera ensuite licencié d’Alstom. Cet ancien cadre finira par plaider coupable des chefs d’accusation retenus contre lui, le 22 décembre 2014, dans le but de réduire sa peine et d’éviter une sentence de 125 ans de prison. Il passera 14 mois dans une prison de haute sécurité à Wyatt. Puis, il sortira en liberté conditionnelle sous caution dans l’attente de son jugement. Fin septembre 2017, le tribunal du Connecticut le condamne à une peine de 2 ans et demi d’enfermement.

Bien que son arrestation date de 2013, la procédure contre Alstom avait déjà été ouverte par le Département de la justice des Etats-Unis en 2010. D’ailleurs, Alstom n’en est pas à son coup d’essai. En effet, en 2004 et 2008, les justices mexicaines et italiennes condamnent Alstom à plusieurs milliers de dollars et une exclusion des marchés publics pour corruption de fonctionnaires.  En 2011, c’est la justice suisse qui inflige une amende de 40 millions d’euros à Alstom pour corruption et trafic d’influence. 

Cependant, la procédure ouverte à l’encontre de Frédéric Pierucci était-elle proportionnée et légitime ? Et si cette affaire recouvrait plus qu’une histoire de corruption ? 

II. Les dessous de l’affaire

D’après Frédéric Pierucci, l’affaire Alstom constitue en réalité l’imbrication de deux affaires : 

  • L’affaire d’un système de corruption 
  • Mais également l’affaire de la vente de la branche énergie d’Alstom par General Electric, le concurrent américain. 

Dans ces deux affaires, Fréderic Pierucci n’aurait été qu’un pion, un prétexte pour mener une guerre économique. 

L’affaire de corruption 

La loi FCPA décembre 1977 : Foreign Corrupt Practice Act ; signée par Jimmy Carter suite à l’affaire Lockheed a pour objectif de réprimer la corruption d’agent public étranger. 

Cette loi sanctionne sévèrement les actes et tentatives de corruption perpétrés par des personnes physiques et morales étrangères ayant un lien avec les Etats-Unis au moment de la commission des faits. Elle peut donc s’appliquer en dehors du territoire américain, à des personnes physiques et/ou morales de pays tiers. Il s’agit d’une loi extraterritoriale, qui impacte donc les entreprises françaises ayant des filiales ou employant des salariés aux Etats-Unis. Elle couvre tous faits commis : 

  • Sur le territoire américain 
  • Par un citoyen ou résident américain 
  • Pour le compte d’une entreprise américaine. 

La matérialité de l’infraction réprimée par le FCPA vise les paiements constitutifs d’actes de corruption. Il s’agit de paiements en espèces, ainsi que tous paiements assimilés, tels que des cadeaux, voyages ou donations à des organismes de charité. Le champ d’application de la FCPA a été étendu aux transactions en dollars et à tout autre devise tant que cela transite par une banque américaine (gagner un contrat ou un marché, influencer le processus d’appel d’offres).

L’élément moral de l’infraction est caractérisé par l’influence intentionnelle de tout acte ou toute décision ayant pour but notamment d’assurer un avantage indu à un agent public étranger. 

Or Frédéric Pierucci aurait organisé et cautionné, de 2002 à 2009, le versement de pots de vin à des personnalités indonésiennes. En effet, la Justice américaine lui reprochait d’avoir été informé du recrutement et du paiement de « consultants » chargés de corrompre des responsables indonésiens, dans le but de décrocher un contrat de 118 Millions de dollars. Il s’agissait donc d’une participation à un avantage pécunier dont le but était de favoriser la conclusion d’une affaire… Ces éléments factuels très compromettants poussent les tribunaux de l’Oncle Sam à en tirer le jugement suivant : Monsieur Pierucci est un corrupteur. 

Cependant, en l’espèce, David Novick, procureur fédéral dans le Connecticut, en charge du dossier avait admis que Frédéric Pierucci « n’était pas décisionnaire (…) mais au courant de tout ce qui se passait ». Par ailleurs, F.Pierucci était « seulement » signataire (parmi 13 autres personnes) du recrutement d’un consultant sur la vente d’un projet en Indonésie en 2003. Il n’a fait que suivre les procédures internes d’Alstom, la responsabilité était donc imputable au service Compliance de l’entreprise. 

En réalité, et comme le soutiennent certains auteurs, le gouvernement américain désirait avant tout poursuivre la direction générale d’Alstom et, notamment son PDG M.Kron, dans un contexte de guerre économique. 

Une guerre économique ?

Pour certains, l’objectif de cet acharnement serait le rachat de la branche énergie d’Alstom par l’américain General Electric. Comment ? En mettant la pression sur les entreprises françaises…

Une étrange coincidence : À la plus grande surprise du public, et pendant que Frédéric Pierucci « croupissait derrière les verrous », Patrick Kron, PDG d’Alstom, négociait dans le plus grand secret la vente de la branche énergie (Alstom Power) de son entreprise à General Electric. Par ailleurs, Keith Carr, le directeur juridique d’Alstom, s’est rendu à Washingotn pour échanger avec le Département américain de la Justice… Le mot d’ordre : négocier pour éviter la prison.

Finalement, le groupe français sera condamné à payer une amende de 772 millions de dollars. Peu de temps après, lors d’une assemblée générale, le démembrement d’Alstom est décidé. Alstom cède son pôle énergie à General Electric, le concurrent américain devient alors majoritaire et pilote 2 directions stratégiques : la direction financières et opérationnelles… Une drôle de coïncidence pour certains, et notamment pour F.Pierucci. 

Plusieurs auteurs dénoncent la collusion entre le Département américain de la Justice et General Electric dans cette opération de rachat. Cependant, la Commission d’enquête parlementaire sur la politique industrielle, a indiqué dans ses conclusions en 2017 que « Alstom a été fragilisé financièrement par les poursuites américaines anti-corruption mas aucun élément factuel ne permet de corroborer la théorie selon laquelle General Electric aurait instrumentalisé ces procédures pour faciliter le rachat d’Alstom ». 

III. Pour conclure…

L’extraterritorialité du droit américain permet à la Justice de l’Oncle Sam de réprimer les comportements déviants. Cet objectif noble a pourtant été remis en question par Frédéric Pierucci, qui estime que l’application du FCPA n’est qu’une arme d’intimidation pour mener une guerre économique… les affaires sont les affaires !  Pour autant, cette théorie ne fait pas obstacle aux manifestations d’extraterritorialité du FCPA, qui prend son essor de façon grandissante. Les entreprises étrangères doivent donc s’assurer de mettre en place toutes les diligences nécessaires au respect de cette législation afin d’éviter toutes représailles. 

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