La pérennité du commerce international prime-t-elle sur les droits fondamentaux des travailleurs : le cas de la population Ouïghoure

17 novembre 2021

Travail-force-Ouighours

Qui n’a pas entendu parler des ouïghours et de leur exploitation? Qu’en est-il du droit international et de ses principes? Cette question fait écho à la notion de travail forcé et met en lumière le côté sombre du commerce international. La situation des Ouïghours et ce qu’ils subissent au nom de leur appartenance ethnique fait parler d’elle depuis quelques temps notamment par le biais des réseaux sociaux. Cette révélation médiatique est en partie due à l’activisme du parlementaire européen Raphaël Glucksmann qui résume sa pensée à travers la phrase ” leurs droits sont plus importants que nos contrats “. Le commerce international et ses principaux acteurs ne semblent pas prioriser les droits fondamentaux des travailleurs ouïghours. Néanmoins, des solutions concrètes commencent enfin à voir le jour. 

La Chine : Un allié de taille sur la scène du commerce international !

Pendant longtemps, la Chine s’est présentée comme le parfait allié économique et l’acteur indispensable du commerce international. Elle propose une main-d’œuvre bon marché et la région du Xinjiang, où vit le peuple Ouïghour, est une zone clé puisqu’elle est productrice de 22% du coton mondial. De ce fait, de nombreuses marques de prêt-à-porter y trouvent leur compte et choisissent de ne pas prêter attention aux droits fondamentaux des travailleurs dans les contrats les liant avec leur chaîne de production. Cela a déjà été reproché à Nike à travers une première plainte adressée par L’association des ouïgours de France le 24 février 2021 devant le TJ de Paris.

Mais qui sont finalement ces travailleurs forcés ? Environ ” 80 000 Ouïghours “ ont été transférés contre leur gré dans des usines appartenant aux chaînes d’approvisionnement de ” plusieurs marques connues “.  Celles-ci ne s’arrêtent pas au monde du textile mais comptent également des domaines techniques et de l’automobile.
Le gouvernement chinois fait de son mieux pour brouiller les informations dont dispose le monde occidental, et le peu de témoignages qui arrivent jusqu’à nous font part ” d’usines-prison “. Elles sont décrites comme possédant des ” fils barbelés ” où les travailleurs ne peuvent se déplacer que ” sous une surveillance accrue “. Si le principal motif de ce transfert de travailleurs se veut salvateur, dans le but de  ” lutter contre l’extrémisme religieux ” de cette population à majorité musulmane et de ” favoriser l’emploi “, un véritable processus d’acculturation est mis en place, mêlant cours de propagande, torture, meurtre et expériences médicales en plus du travail forcé.

Un cadre légal international tourné vers la libéralisation du commerce international au détriment des droits de l’Homme.

Mettre en équilibre le commerce international, avec sa libéralisation grandissante d’un côté et les droits de l’Homme de l’autre est un débat houleux où s’entrechoquent, entre autres, les principes de l’OMC et ceux de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. 


D’une part, la première ne reconnaît pas de manière explicite la primauté des droits de l’Homme sur le commerce international. Au contraire, au sein de ses accords et règles, elle met en place des exceptions générales permettant aux États de déroger partiellement aux principes qu’elle institut, sous réserve que « ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international » (article XX de Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT de 1947)).

La priorité est et demeure la pérennité  du commerce international. Cette marge de liberté, mise en place par ces exceptions générales, autorise la prise de mesures ” nécessaires à la protection de la moralité publique ” ou encore interdit d’interpréter ses dispositions comme “empêchant une partie contractante de prendre toutes mesures qu’elle estimera nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité ” (article XXI du GATT). Or, rappelons le, la Chine prétend mettre en place des mesures pour assurer sa sécurité en écartant le risque de ” l’extrémisme religieux ” de cette population. On pourrait constater qu’elle se cache ainsi derrière ces exceptions générales pour justifier son pouvoir arbitraire contre les Ouïghours

D’autre part, la Déclaration Universelle des Droit de l’Homme, à laquelle la Chine a contribué dès son origine en 1948, prône un idéal commun à poursuivre en matière des droits de l’homme. Ce paradoxe démontre la dualité de l’Empire du Milieu, désireux de faire bonne figure auprès de la communauté internationale mais bafouant ouvertement les principes qui y figurent, notamment l’article 4 (“Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude;(…)”), l’article 5 (“Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants”) ou encore l’article 12 (“Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation.(…)”), pour ne citer qu’eux. 

En réalité, la Déclaration, qui a vocation à être internationale, a une portée limitée et n’est en fait pas exécutoire à l’échelle du droit international. C’est une ligne directrice qui n’engendre pas de sanction concrète en cas de manquement par un Etat signataire. Alors comment mettre la Chine en face de ses responsabilités ?

Le silence des entreprises et de la communauté internationale : indifférence ou paralysie ?

Le problème peut sembler purement national et lié aux ” affaires intérieures de la Chine ” comme le nomme le gouvernement. Il n’en demeure pas moins que les acteurs du commerce international, de par leur manque d’actions, entretiennent cette dépendance envers la RPC et bafouent les valeurs des démocraties grâce auxquelles ils prospèrent. 

Les multinationales sont les spectatrices mais également les principales actrices de cette situation qu’elles alimentent malgré elles en détournant le regard sur les conditions de travail mises en œuvre au sein de leurs chaînes de production. En effet, elles expliquent des difficultés à établir de manière claire et précise tous les protagonistes intervenant au sein de leur chaîne et ce, malgré une surveillance assidue (selon les rapports du journal Marianne qui a directement contacté les marques accusées par le rapport de l’ASPI). Mais, il semblerait que tout soit une question de priorité et les ripostes de la Chine à coup de boycott font peur. C’est notamment le cas de H&M qui, dans une démarche plus activiste, décidait de mettre fin à ses relations avec la région du Xinjiang, et s’est vue disparaître de toutes les plateformes d’achat en ligne chinoises. 


La seule issue favorable à la question Ouïghoure et au respect des droits fondamentaux des travailleurs semble être l’homogénéisation et l’extension du devoir de vigilance, du moins et pour commencer, à l’échelle de l’Union européenne.  Ce principe force les multinationales à rendre des comptes en matière de droits humains et de respect de l’environnement en engageant leur responsabilité. Le Parlement Européen a notamment adopté une résolution ” contenant des recommandations […] sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises ” (Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de diligence et la responsabilité des entreprises [2020/2129(INL)]) en vue de développer des moyens coercitifs à l’égard des entreprises, actrices de première ligne du respect ou de la violation des droits de l’Homme au sein du Commerce international. Ursula Von der Leyen réaffirme d’ailleurs le prochain bannissement des produits du travail forcé dans son discours sur l’état de l’Union, le 15 septembre 2021.


Après la France,  pionnière en matière de législation nationale sur le devoir de vigilance (LOI n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre), d’autres acteurs du commerce international, qu’ils soient étatiques ou intergouvernementaux, tentent de construire un cadre légal contraignant pour responsabiliser les Etats. Cet essor législatif permettra peut-être de faire cesser l’impunité de la Chine, mais également de sanctionner quiconque faisant passer la pérennité du commerce international sur les droits fondamentaux des hommes.

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