Dans le paysage judiciaire français, l’Observatoire International des Prisons (OIP) s’illustre comme un lanceur d’alerte incontournable vis-à-vis des conditions de détention. L’OIP se tient pourtant face à une menace existentielle, celle de sa disparition résultant d’une réduction drastique de ses subventions publiques. Les aides de l’État, jadis pilier de son financement, se sont évaporées, représentant désormais moins de 20 % de ses ressources. Cette actualité relance une nouvelle fois le débat de l’investissement de la France face à ses conditions de détention jugées indignes à de nombreuses reprises par la Cour européenne des droits de l’homme.
La France, souvent rappelée à l’ordre par les instances européennes pour les conditions souvent jugées indignes de ses prisons, cherche tant bien que mal à naviguer entre les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et les réalités d’une surpopulation carcérale chronique. Le retentissant arrêt J.M.B et autres contre France du 30 janvier 2020 avait à l’époque mis en lumière les conditions de détention inhumaines et dégradantes persistantes des prisons françaises, aboutissant à une condamnation pour violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision souligne l’ampleur du problème de la surpopulation carcérale et l’absence de recours effectif pour les détenus, dans des établissements où le taux d’occupation peut atteindre jusqu’à 200 %, comme au Centre pénitentiaire de Ducos en Martinique.
Pour pallier ces critiques, le législateur a institué un nouveau recours individuel contre les conditions de détention indignes et un droit de visite des lieux de privation de liberté pour les bâtonniers à travers les lois n° 2021-403 du 8 avril 2021 et n° 2021-1729 du 22 décembre 2021. Ces avancées législatives n’ont pourtant pas empêché la CEDH de sanctionner une nouvelle fois la France en 2023 dans l’arrêt B.M. et autres contre France, décision faisant suite à l’arrêt de principe J.M.B. Un mois avant cet arrêt, un colloque était organisé par l’administration pénitentiaire de Fresnes à l’occasion du 125e anniversaire de l’établissement, tandis que se tenaient en parallèle les discussions concernant la future loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice, où les conditions de détention étaient particulièrement débattues. Ressort ainsi que cette situation relevée par la Cour à Fresnes est davantage un cas d’école plutôt qu’un cas judiciaire isolé.
La journée d’action nationale de visite des lieux de privation de liberté, organisée le 15 mars 2023, offre un instantané alarmant de la réalité carcérale française. Les rapports issus de ces visites, décrivant des conditions précaires de détention, vont de la promiscuité à l’insalubrité, sans oublier des soins médicaux, souvent inadaptés. Cette mobilisation, bien que salutaire, révèle une certaine inertie gouvernementale face à la nécessité d’une réforme profonde du système pénitentiaire, et ce, malgré des débats législatifs récurrents sur le sujet.
La discussion semble donc avoir assez duré, la CEDH et les rapports du CGLPL (Contrôleur général des lieux de privation de liberté) ayant rappelé l’urgence d’agir en adoptant une approche réformatrice plus humaine visant à améliorer le quotidien des détenus et repenser le sens et l’objectif premier de la détention : la réinsertion.
Il est important de noter que la remise en question de l’utilité de la prison est double. Mettre en avant les conditions indignes dans lesquelles les détenus sont maintenus ne cherche pas à contester les sentences qui leur sont imposées, c’est-à-dire à remettre en question l’autorité et l’autonomie du juge. La prison, dans son idéal, a pour but d’isoler de la société les individus considérés comme dangereux, en espérant que leur temps passé en cellule les remet dans le droit chemin. Cependant, la réelle efficacité de la prison telle qu’elle existe aujourd’hui laisse perplexe. Elle est qualifiée par certains « d’école » ou encore « d’antichambre » du crime, cette vision trouvant un écho logique dans le fait que les séjours en prison, dans des conditions extrêmement précaires, ne sont guère susceptibles d’amender la nature des détenus. Au contraire, ces conditions de vie déplorables tendent à aggraver leur situation. De plus, considérant le coût financier de la détention, il apparaît que l’investissement dans un tel système ne bénéficie réellement ni aux détenus ni aux victimes, engendrant ainsi une dépense en apparence inutile. En fin de compte, cette situation ne fait qu’exacerber une défiance déjà manifeste envers le système judiciaire, en renforçant les positions en faveur du rétablissement de la peine de mort. La disparition de Robert Badinter nous rappelle l’importance de ne jamais tenir pour acquis les victoires du passé; les luttes d’hier demeurant celles d’aujourd’hui. Il est donc impératif de veiller au respect des droits fondamentaux, y compris ceux des personnes incarcérées, pour préserver l’intégrité de notre justice.
La France se trouve donc à un carrefour crucial : poursuivre sur la voie de la négligence et de l’inaction, ou suivre une réforme audacieuse qui place la dignité humaine au cœur de sa politique carcérale, conformément aux directives et aux condamnations émises par la Cour européenne des droits de l’homme.