Le dropshipping, une pratique commerciale flirtant avec l’illégalité

28 février 2021

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Un entrepôt de plusieurs milliers de mètres cubes implanté dans la province chinoise de Shenzen. C’est de là que sont dropshippés des montres ou encore des collants « incassables » à destination de millions de consommateurs partout dans le monde. Décriée ces dernières années, la pratique e-commerce du dropshipping connaît un rebond sans précédent dans ce contexte de pandémie mondiale, intriguant des vendeurs avides d’argent et envoûtant des consommateurs à la recherche de bonnes affaires. Des marges financières au bord de l’immoralité, de perpétuels prix cassés, des sites marchands soudainement fantômes et malgré tout une opération commerciale théoriquement légale ? À quels risques s’exposent les consommateurs de dropshipping 

Une pratique légale sous conditions

Traduit du français « système de livraison directe », le dropshipping instaure un rapport commercial triangulaire, constitutif de deux relations bilatérales : entre un fournisseur, un dropshippeur et subséquemment un client. Le dropshippeur se positionne donc en tant qu’intermédiaire entre le fournisseur et l’acheteur. Tout en s’affranchissant des obligations liées aux stocks, le vendeur passe alors directement commande le plus souvent en grande quantité auprès d’un fournisseur, afin de bénéficier de frais de livraison avantageux. Cependant, l’acheteur n’est que très rarement conscient de cette phase commerciale préalable. 

Voici un secret bien gardé par le site marchand, le plus souvent hébergé sur la plateforme Shopify, qui en se faisant passer pour le fournisseur direct, permet aisément de fourvoyer le client. Pour les plus téméraires, avoir recours à des stratégies de vente hypocrites s’envisage sans vergogne. 

La publicité trompeuse est définie à l’article L121-1 du Code de la consommation, en tant que publicité inexacte, fausse ou encore de nature à induire en erreur. La publicité superlative est autrement admise par le juge face à une catégorie de consommateurs en théorie moyennement prudents et diligents. Il est alors permis aux dropshippeurs de recourir à l’exagération ou à l’emphase dans les cas de publicités humoristiques. Dans le cas contraire, si l’appréciation in abstracto des juges du fond décèle une publicité trompeuse, une sanction pénale de 2 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (art L121-6) ainsi qu’une sanction civile (art 1382 Code civil) peuvent être encourues. Bien que parfois considérée comme immorale, cette pratique commerciale reste néanmoins légale dès lors que plusieurs conditions sont réunies. 

Déclaré sous un statut auto-entreprise ou en société, le dropshippeur se doit de faire figurer sur son site des mentions légales (incorporant notamment une référence au RGPD) ainsi que des conditions générales de ventes solides. 

En 2016, la cour d’appel de Paris a été confrontée à la question de la qualification de commerçant d’un dropshippeur. Un litige opposait un particulier non commerçant à la société commerciale Price Minister. Le particulier s’adonnait à cette méthode du dropshipping de façon non déclarée sur la plateforme e-commerce, en achetant et en revendant sur ce même site et des sites concurrents (Ebay, Leboncoin). Néanmoins la cour d’appel de Paris n’a pas jugé bon de le qualifier commerçant ou vendeur professionnel, dès lors qu’il ne s’agissait pas de son « occupation habituelle lui permettant de subvenir à ses besoins ». (Cour d’appel de Paris, Pôle 1, Chambre 8, Arrêt du 24 juin 2016, Répertoire général nº 15/12575) Cette jurisprudence de 2016 semble donc peu encline à qualifier de façon extensive les dropshippeurs en tant que commerçants. 

Certains avocats conseillent également aux vendeurs de recourir à un contrat de dropshipping avec leur fournisseur tel que le site marchand Alibaba.com. Une sécurité juridique en cas de litige avec ce site chinois leur serait alors garantie. 

Un piège marketing 

Comme pour beaucoup d’opérations commerciales, la candeur de certains consommateurs profite aux vendeurs. Nombreuses sont les dérives juridiques possibles pour les sites de dropshippping. 

À l’instar du piratage informatique, la contrefaçon est en constant développement et les dropshippeurs n’y sont pas toujours très vigilants. Consciemment ou non, ces derniers facilitent « la diffusion à grande échelle de ces contrefaçons » d’après le Sénat français. L’institution nationale explicite son point de vue sur le sujet via une réponse faite à la Question n°18358 du 22 octobre 2020 à l’initiative de Madame Catherine Dumas, relative à la « Contrefaçon de vêtements de marque française par des entreprises chinoises ». Le Sénat reconnaît partiellement et en accord avec la Commission européenne, le retard contextuel de la directive commerce électronique de 2000 face aux « enjeux numériques actuels », et annonce son projet juridique du Digital Services Act. Un texte dont l’adoption est prévue en 2022 et qui vise au renforcement de « la sécurité des utilisateurs en ligne », en mettant un terme aux contenus illicites. Les éventuelles atteintes des dropshippeurs au droit de la propriété intellectuelle se verraient alors considérablement ralenties. 

D’un point de vue fiscal, il n’est pas rare de constater des évasions fiscales des dropshippeurs ou encore le non paiement de la Taxe sur la Valeur Ajoutée par leur entreprise, passé un certain montant. 

Il n’est pas rare non plus pour les clients d’être autrement confrontés à un service client douteux voire inexistant. Il leur faut être particulièrement attentif quant à la mention a minima d’un numéro de téléphone et d’un numéro Siret sur le site. Certains sites ont également tout bonnement disparu du net une fois les commandes passées. 

Ces sites se livrent parfois à des pratiques commerciales trompeuses voire déloyales définies à l’article L121-1 du Code de la consommation. Il s’agit alors : 

  • D’une confusion sur le bien, service, la marque ou encore le nom commercial
  • De fausses allégations, indications, présentations de nature à induire en erreur un client 
  • De l’impossible identification du vendeur

Rappelons que la pratique commerciale trompeuse produit des effets en France, un délit est constitué eu égard à l’article L121-5 du même Code. Une sanction pénale et civile similaire à celles de la publicité trompeuse s’applique au dropshippeur. L’intervention de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et d’associations de consommateurs est fortement recommandée afin de défendre au mieux les victimes d’un dropshipping ayant outrepassé les règles légales.  

Toutefois l’arnaque est sans limite puisque certains « gourous » financiers ont pour cibles les apprentis-aventuriers du dropshipping eux-mêmes, en les illusionnant sur des profits parfois faussement gigantesques. Réaliser un profit financier colossal en quelques clics, être à la tête d’un site e-commerce sans frontière et ceci sans supporter les contraintes administratives et financières liées aux stocks a de quoi ensorceler. Les arnaqueurs de dropshipping les attendent également au tournant. 

En résumé, le dropshipping est un peu, comme l’écrivait Alfred Capus, « une bonne affaire qui a rencontré une mauvaise foi »

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